Les entreprises vont pouvoir se référer à la loi pour contrôler leurs salariés en arrêt de travail. Juste avant le second tour des législatives, un décret publié par le gouvernement Attal a précisé la façon dont un employeur peut charger un médecin d'organiser une contre-visite pour vérifier que l'arrêt de travail de son salarié est bien justifié. « C'était un décret qu'on attendait plus », explique Matthieu Babin, associé au cabinet d'avocats Capstan. Depuis 1978, la loi prévoit que l'employeur peut contrôler les arrêts de travail dans le cas où il couvre la perte de revenus de son salarié en complétant les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale. Cette possibilité n'ayant jamais été précisée par décret, c'est la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait jusque-là cadré les règles du jeu.L'an dernier, le gouvernement Borne avait déjà souhaité reprendre la plume sur la contre-visite. Objectif affiché à l'époque : diminuer les « arrêts non justifiés » et tenter de limiter - un peu - le coût de ces arrêts pour la Sécurité sociale, voisin aujourd'hui des 16 milliards d'euros par an. Le projet de budget 2024 voulait stopper plus facilement le versement d'indemnités par la Sécurité sociale en cas d'arrêt considéré comme injustifié après un contrôle par l'employeur.

« Un but préventif »

Le Conseil constitutionnel a mis le holà à ce tour de vis en décembre. Si bien qu'un assuré en arrêt ne peut pas perdre ses indemnités journalières à la suite d'un contrôle de son entreprise. Il risque seulement - sur le papier - d'être privé du complément de revenus de l'employeur.

Cela n'a pas empêché le gouvernement d'inscrire les règles du jeu dans la loi. Compte tenu de la jurisprudence existante, le décret « n'apporte pas de très grande nouveauté au dispositif mais relégitime le système de contre-visite, estime Matthieu Babin. Cela peut permettre aux employeurs de communiquer sur le sujet avec plus de légitimité et de jouer sur le côté dissuasif du dispositif. » Le décret apporte cependant une nouveauté. « Jusqu'à maintenant, le médecin se déplaçait systématiquement à l'adresse du salarié. Là, cela va pouvoir aussi se faire par convocation au cabinet du médecin », souligne Anna Deruyter, responsable de la clientèle et des partenariats pour la société Securex, spécialisée dans l'absentéisme. « C'est à l'entreprise de choisir, mais cela peut peut-être changer les choses dans certaines zones où les médecins sont trop peu nombreux pour faire des visites. » Difficile d'avoir une idée exacte du nombre de contre-visites réalisées à travers la France, mais cette pratique apparaît très limitée. Selon la Cour des comptes, 150.000 contre-visites avaient été réalisées à l'initiative de l'employeur en 2016. Une goutte d'eau. « La contre-visite médicale a un but préventif » pour faire face à l'absentéisme, défend Anna Deruyter. Celle-ci glisse que sur les 35.000 contre-visites réalisées chaque année par Securex, 40 % « peuvent donner matière à suspension des indemnités ».

Réformes sensibles

Pour contenir la facture des arrêts de travail, l'Assurance Maladie peut faire elle-même des contrôles auprès des assurés, notamment pour les arrêts très longs. Elle mène par ailleurs des actions de formation et de contrôle des médecins. Ces contrôles sont décriés par les syndicats de médecins pour qui la hausse des arrêts doit surtout alerter sur l'état de santé dégradé d'une population vieillissante.

Afin de redresser les comptes de la Sécurité sociale, jugés « hors de contrôle » par la Cour des comptes, l'exécutif avait par ailleurs réfléchi à limiter l'indemnisation des arrêts et envisagé, avec le soutien du patronat, l'instauration d'un jour de carence d'ordre public indemnisé ni par la Sécurité sociale, ni par les entreprises. Autant de réformes, très sensibles, qui paraissent difficiles à mettre en oeuvre rapidement compte tenu de la recomposition politique toujours en cours.