A la tête d'Eco-Triporteur, une PME française de 6 salariés pour un chiffre d'affaires d'un million d'euros, Guillaume Delanoë est préoccupé par les difficultés que rencontre l'entreprise en raison des contraintes douanières. « Nous ressentons une frustration similaire à celle des agriculteurs confrontés aux réglementations européennes. Notre activité, centrée sur un marché de niche, le triporteur électrique, est soumise aux mesures antidumping et antisubventions depuis 2019, ce qui a un impact significatif sur nos opérations », dit-il.Pour assembler ses triporteurs, il doit trouver châssis, cabines, ceintures de sécurité, coussins, batteries… En 2022, il a vendu 300 de ses machines. Compte tenu de la complexité de son produit, il est dans l'obligation d'importer des pièces faute d'alternative en Europe. Les volumes qu'il produit n'intéressent en effet pas les quelques industriels européens qui pourraient lui fournir certaines pièces. « Au cours des dernières années, nous avons dû faire face à des taxes antidumping totalisant 173.000 euros, ce qui a mis une pression financière considérable sur notre entreprise », constate-t-il.

Pénalités

Pour réduire sa dépendance chinoise au regard des règles de défense commerciale et sur les conseils de son fournisseur local, la société s'est tournée vers un fournisseur de Corée du Sud. Mais, une enquête des douanes françaises en décembre 2021 a considéré que ces pièces venaient bien de Chine et étaient redevables des droits de douane. Résultat : « nous avons reçu une pénalité de 500.000 euros, que nous contestons vigoureusement devant les autorités compétentes. Nous sommes déterminés à défendre notre bonne foi dans cette affaire et à nous battre pour préserver notre activité », indique Guillaume Delanoë.Avant d'ajouter que « si nous devions, à terme, supporter ces charges financières, cela mettrait en péril l'avenir de notre entreprise. Nous avons créé Eco-Triporteur en 2008 à une époque où le triporteur électrique n'était même pas sur le marché en Europe. Nous avons trouvé des fournisseurs en Asie et construit petit à petit une entreprise viable économiquement, puisque quinze ans plus tard nous existons toujours ».Annick Roetynck, directrice de la Light Electric Vehicle Association, observe que « plusieurs entreprises européennes présentes sur le marché du vélo électrique depuis des décennies sont au bord de la destruction. Il est étonnant de constater à quel point l'interprétation des services douaniers diffère selon les Etats membres ».A la Commission européenne, on reconnaît que la complexité des règles aboutit effectivement à certains dysfonctionnements des douanes qui agissent différemment selon les Etats membres de l'Union européenne. « Nous sommes en discussion pour harmoniser les règles d'application des mesures commerciales défensives », indique-t-on à Bruxelles.Reste que la tâche des douaniers n'a rien d'aisé. Car si des PME sont de bonne foi, d'autres trichent. En novembre 2023, deux importateurs de vélos électriques ont été accusés de fraude sur 6,6 millions d'euros de taxes douanières non payées. Ils avaient importé via la Belgique leurs vélos électriques en pièces détachées.

S'ils sont reconnus coupables, les prévenus risquent entre quatre mois et cinq ans de prison, ainsi qu'une amende de 5 à 10 fois les droits de douane éludés. La semaine dernière, dans un communiqué, le parquet européen a indiqué qu'une personne et deux entreprises ont aussi été reconnues coupables de fraude. L'enquête a montré que des vélos entiers avaient été délibérément importés en pièces détachées, afin d'éviter le paiement des droits.

L'astuce des conteneurs

Dans les faits, si un importateur européen recourt à un seul conteneur pour la livraison des pièces détachées d'un vélo électrique entier, la douane considérera qu'il s'agit d'un produit fini. L'importateur devra donc s'acquitter des droits de douane.Pour contourner cette règle, une astuce consiste à faire venir la totalité des pièces dans deux conteneurs distincts et pas livrés le même jour. Mais, « lorsque toutes les pièces de vélos électriques sont importées expressément en deux fois avec une ou deux semaines de délai, les douanes considéreront quand même qu'elles peuvent appliquer des taxes en invoquant des règles anti-abus, explique Laurent Ruessmann, avocat-conseil de l'European Bicycle Manufacturers Association. L'abus de droit est un principe fondamental du droit de l'Union européenne ».