« Il n'y a pas d'usine sans terrain. » Cette phrase anodine, prononcée par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, en mars dernier, résume toute la difficulté à laquelle se trouvent confrontées les autorités publiques, chargées tout à la fois de faire respecter la mise en oeuvre progressive de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols et de soutenir la réindustrialisation du pays. Le rapport annuel de l'Autorité environnementale, rendu public mardi, en est une bonne illustration.

Cette autorité indépendante, est chargée d'évaluer et d'émettre des avis sur l'impact environnemental des grands projets industriels ou d'infrastructures, type parcs éoliens offshore ou projets autoroutiers. Ses avis sont consultatifs mais régulièrement utilisés dans le cadre de contentieux environnementaux devant le juge administratif.

L'ambition affichée par les pouvoirs publics est de réduire de moitié, d'ici à 2030, la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers dans le pays, afin d'atteindre le zéro artificialisation nette en 2050. Devant la difficulté d'atteindre un tel objectif, un « forfait » de 12.500 hectares réservés à des projets industriels « d'envergure nationale ou européenne et d'intérêt général majeur », qui ne seront pas comptabilisés dans le ZAN. Ce qui ne dédouane pas les sites en question de toute responsabilité environnementale.

Durant l'année 2023, l'Autorité environnementale a planché sur les projets d'extension des grands ports maritimes, comme à Dunkerque. Le site fait certes partie des projets « exclus du droit à bétonner » de chaque région, mais son étude d'impact a été jugée sévèrement par l'autorité environnementale : « sous-estimation manifeste des besoins de compensation », « dégradation des milieux naturels », « atteintes nombreuses aux espèces protégées », le tout « sans démonstration de raisons impératives d'intérêt public majeur », révèle le rapport d'activité. L'autorité a rendu un deuxième avis sur ce projet, tout aussi critique.

Intégrer les mobilités

Cet exemple est symptomatique des injonctions contradictoires fixées par les pouvoirs publics. « Le premier critère pour les maîtres d'ouvrage reste la disponibilité foncière », explique Véronique Wormser, membre de l'Autorité environnementale. « La prise en compte des critères de non-artificialisation reste d'une intensité très variable », confirme Laurent Michel, le président de l'Autorité, pour qui « ce n'est pas uniquement la consommation de la surface foncière qui compte, mais aussi le fait d'avoir une planification de l'espace à long terme, en intégrant les mobilités par exemple ».

D'une manière plus générale, l'évaluation de l'impact environnemental des projets industriels a été singulièrement encadrée dernièrement et le travail de l'Autorité risque de s'en trouver affecté. Un des décrets de la loi industrie verte, dont la publication est passée relativement inaperçue dimanche dernier, vient totalement changer le calendrier des consultations pour les projets soumis à autorisation environnementale : toutes les consultations, auprès des collectivités, de l'Autorité environnementale et du public, se dérouleront désormais en même temps.

Une simultanéité qui vise à simplifier la procédure et à gagner du temps, ce qui est louable quand on connaît les délais de réalisations des grands projets industriels en France, mais cela sera-t-il bien le cas ? « Le législateur a voulu la parallélisation des consultations. Cette compression des phases est délicate et pas forcément plus simple in fine », estime Laurent Michel, « car on risque de se rendre compte après coup d'importantes améliorations à apporter, alors que le chantier aura déjà largement commencé. Se poser quelques questions d'abord, avant de commencer un projet, ce n'est pas neutre », conclut le président de l'Autorité.