"Les femmes ont toujours voyagé seules, avec plus de difficultés évidemment que les hommes", note Lucie Azema, citant par exemple l'accès à l'argent - elles n'obtiennent le droit d'ouvrir un compte bancaire sans autorisation de leur mari qu'en 1965 en France. 

Pour l'autrice de l'essai féministe "Les femmes aussi sont du voyage" (Flammarion, 2021), voyager seule est un "moyen d'émancipation, de sortie du foyer, de la famille, du couple, de plus en plus faisable dans nos sociétés occidentales".

Difficile à quantifier, le phénomène des voyageuses solo semble en hausse. En témoignent les publications sur les réseaux sociaux, la présence d'influenceuses et la multiplication des livres sur le sujet.

Pour sa première aventure solo, Mélanie, journaliste de 31 ans, n'est pas allée très loin... direction Le Touquet. Vivant en couple, l'ex-Parisienne voulait "rester un peu seule" avec elle-même. Depuis, la Berlinoise a visité seule Prague et Cracovie notamment, voyant dans cette façon de voyager un "acte féministe".

"Pour une jeune femme de 24 ans, ça devient presque essentiel d'avoir déjà voyagé seule, même si ce n'est qu'un week-end dans une autre capitale européenne", confirme la doctorante en sociologie à l'université Paris 8 Karine Esselin. 

Le mot "liberté" revient dans la bouche de toutes les voyageuses -ou presque - interrogées par l'AFP.

Geneviève, 53 ans, 32 pays visités seule, de New York à l'Asie du Sud-Est, ne revendique, elle, pas de "geste militant".

"Mais au fil de mes voyages, j’ai pris conscience que pour beaucoup de femmes dans le monde, ce que je vis est loin d'être une évidence", estime cette Canadienne. 

Allison Aubry, 34 ans, n'envisage pas non plus ses voyages seule - à Venise, Naples ou La Réunion - comme des "actes féministes". "Je serais un mec, je ferais pareil", insiste-t-elle.

"T'as pas peur?", lui demande-t-on pourtant. "Non", répond cette intérimaire de Brioude (Haute-Loire). "Je pense que je serais un mec, on me dirait pas ça."

- Question de sécurité -

Car la question de la sécurité s'impose davantage aux femmes. 

Jeanne, 59 ans, prépare minutieusement ses voyages, "veillant à visiter des pays +safe+ pour une femme voyageant seule".

Du côté d'Ambrine Bdida, qui vient, à 33 ans de faire son premier voyage solo en Thaïlande, son départ a créé des sentiments ambivalents chez les parents de la journaliste, notamment sa mère, "hyper contente" pour elle, mais aussi "très angoissée", lui disant: "+tu fais super attention à toi+".   

"Un jour, à Lima, je me suis fait attaquer dans un taxi et tout voler. Je me suis retrouvée à l’ambassade du Canada au Pérou sans rien d’autre que les vêtements que je portais", se souvient Geneviève, la Canadienne. Cela n'a pas empêché cette Montréalaise de repartir pour le Nicaragua.

"J'ai eu très peu de récits de vols ou d'agressions pendant leur voyage", explique la doctorante Karine Esselin, dont la thèse porte sur les voyageuses solo de plus de deux mois, dans des pays du Sud.    

"Elles me parlent par contre beaucoup de violences sexistes et sexuelles qu'elles ont vécues" en couple dans leur pays d'origine, poursuit la sociologue. 

Le profil sociologique des femmes qu'elle a interrogées? Souvent jeunes et "très éduquées", elles sont issues des classes moyennes voire classes moyennes supérieures.

Et, rappelle Karine Esselin, "c'est encore une transgression de genre pour les femmes d'occuper les espaces publics seules".

Après plus de 83.000 kilomètres parcourus dans 27 pays, Juliette Hamon, en tour du monde "sola" sans prendre l'avion depuis février 2023, se trouve en Australie. 

Le stop lui a donné "foi en l'humanité". Elle vient de publier "Oser partir seule" (Editions Larousse) et a un conseil: "Ce n'est pas grave d'avoir peur, c'est un apprentissage que j'ai fait sur la route."

Mathilde Sipos part un peu moins loin mais souvent seule, le week-end à la montagne, en bivouac. La jeune femme de 26 ans regrette "une certaine forme d'invisibilité" des femmes qui sont parties à l'aventure dans le passé. 

"Je trouve qu'il y a presque un devoir de représentation", affirme cette influenceuse de 26 ans, dont le compte Instagram, "En route Mathilde", est suivi par 150.000 personnes. En contrat notamment avec une grande marque, elle en a fait très récemment son métier.     

Face à une littérature de voyage longtemps "très masculine", Lucie Azema se réjouit de voir "de plus en plus de récits de voyages de femmes, plus anciens, qui sont réédités".