Dans un contexte morose pour l'immobilier, le mouvement de cessions de leurs murs par les entreprises a été bien moins intense en 2023 qu'en 2022, que ce soit en France ou en Europe. L'an dernier, ces « externalisations immobilières » ont ainsi totalisé 2,2 milliards d'euros dans l'Hexagone, au travers de 56 opérations, selon JLL. Un chiffre en baisse de 41 % sur un an, loin du pic de 4,3 milliards en 2019.
« Il y a eu un ralentissement très net. Les taux d'intérêt sont remontés tellement brutalement que l'immobilier d'entreprise est devenu moins attractif par rapport aux actions ou aux obligations. Il a besoin de s'ajuster en prix pour redevenir intéressant », résume Graeme Jackson, responsable des transactions structurées chez JLL en France.
« S'ajoute à cela que depuis le Covid, la classe d'actifs bureaux est très chahutée », complète-t-il, alors qu'elle fut longtemps la favorite des investisseurs.
L'année, cependant, a été marquée par quelques opérations d'envergures. Côté bureaux, Accor a vendu son siège d'Issy-les-Moulineaux, la Tour Sequana - qu'il continue d'occuper - afin de récupérer de la trésorerie. La cession a été faite à un consortium d'investisseurs moyen-orientaux piloté par Valesco, pour 460 millions d'euros. « Accor se désengage aussi des murs de ses hôtels », remarque le spécialiste.
Le géant de l'automobile Stellantis a aussi animé le marché. « Il voulait un immeuble net zéro carbone. Il a demandé à un investisseur - Res Publica - de lui acheter un terrain à Poissy et de lui construire ce Green-Campus, et il s'est engagé à occuper les lieux dans le long terme », raconte-t-il. L'opération s'est élevée à 165 millions. Sachant que le montant moyen des transactions dans les bureaux se situe plutôt autour de 50 millions, indique JLL.
L'immobilier logistique et industriel en tête
La tendance, pour un certain nombre d'entreprises, est par ailleurs toujours de se débarrasser de leurs passoires thermiques pour s'éviter de coûteuses rénovations énergétiques alors que le « décret tertiaire » fixe des objectifs d'économies d'énergie à partir de 2030. Il s'agit aussi de s'installer dans des locaux modernes, plus adaptés à leur organisation et aussi énergétiquement plus performants. Graeme Jackson cite l'exemple du groupe chimiste allemand BASF, qui a cédé son siège vieillissant de Levallois-Perret. Ou encore de TotalEnergies, qui va devoir trouver preneurs pour ses tours historiques à La Défense, alors que ses équipes doivent bientôt rejoindre l'immeuble flambant neuf The Link, toujours à la Défense.
Côté commerces, le spécialiste de l'équipement de sport Decathlon a cédé en 2023 un portefeuille européen de 82 magasins pour un montant de 527 millions, afin de financer son expansion - dont 180 millions pour la partie française. Ceci à l'Américain Realty Income Corporation. Ce dernier a d'ailleurs aussi racheté 25 supermarchés Asda au Royaume-Uni.
Actifs de santé à la peine
Au total, dans la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique (EMEA), les ventes de murs par les entreprises ont atteint l'an dernier 18,4 milliards d'euros, pour 456 actifs, selon JLL. Un chiffre en baisse de près de 29 % par rapport aux 25,9 milliards de 2022, et au plus bas depuis 2017, inférieur de 31 % à la moyenne des cinq dernières années. Le marché français a été le plus actif, derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne. A eux trois, ces pays ont concentré 52 % des volumes de transactions. Sur le segment des bureaux, la baisse du volume de ventes atteint 39 % sur un an, à 4,1 milliards.
« Il y a quand même des secteurs très actifs », souligne Graeme Jackson. C'est le cas de l'immobilier logistique et industriel (5,1 milliards de cessions de murs l'an dernier) qui, fait-il remarquer, « dépasse depuis trois ans le bureau en volume d'investissements en Europe. Une révolution ! ». Ou encore de l'hôtellerie qui, en France, a bénéficié de l'effet JO.
« Il y a aussi pas mal d'intérêt pour les data centers. En revanche, le commerce [4,6 milliards, NDLR]
et les actifs de santé [1,2 milliard]
sont à la peine. » En particulier dans l'Hexagone où le marché a été bousculé par le scandale Orpea.JLL anticipait une reprise de l'activité en 2025 grâce à
« une baisse de l'inflation et des taux d'intérêt anticipée sur les principaux marchés européens ». Il se montre aujourd'hui un peu plus prudent quant aux perspectives pour la France, au vu du contexte économique et politique chahuté.