Tout est plus dur en 2024. Lever des fonds, signer des contrats et… quitter sa propre entreprise. Certains fondateurs, qui s'apprêtent à partir après l'avoir (bien) revendue pendant les deux années d'euphorie qu'a connues la tech (mi-2020 à mi-2022), n'ont pas forcément anticipé que ce serait aussi difficile.Quand une start-up est rachetée par un grand groupe ou une autre jeune pousse, le fondateur signe un « earn out » (complément de prix en français), une clause qui indexe une partie du prix de cession aux résultats futurs de sa société.

Mauvaise foi et triche

En résumé, lors de la signature, le fondateur touche une partie du montant de la vente et recevra un montant supplémentaire s'il atteint des objectifs fixés à une date définie (entre deux et quatre ans en général), qui correspondra à sa date de départ. Depuis que le contexte macroéconomique est devenu plus morose et que le marché de la tech s'est retourné, les objectifs fixés sont plus difficilement atteignables, voire pas du tout. Résultat, les relations peuvent se tendre entre les deux parties et mener à du contentieux. « Si les termes ont été mal définis et qu'il y a des désaccords, des procédures peuvent être déclenchées », souligne Benjamin Bitton, associé chez 2CFinance, cabinet de conseil financier spécialisé dans la tech.Sans compter qu'il peut y avoir de la mauvaise foi d'un côté et de la triche de l'autre. L'acquéreur peut démontrer par des moyens créatifs que les objectifs n'ont pas été atteints, et l'entrepreneur peut chercher à gonfler ses chiffres. « Les acquéreurs peuvent aussi ne pas donner les moyens aux fondateurs d'atteindre les objectifs », observe Arthur Porré, associé de la banque d'affaires Avolta Partners.

Une clause paradoxale

« J'ai actuellement le cas d'une cession faite il y a quelques années qui est en train de se dénouer de la mauvaise manière. L'acquéreur a mis des bâtons dans les roues au fondateur pour l'empêcher de développer des activités. Cela donne lieu à une bataille d'avocats derrière », raconte Benjamin Bitton.

Le patron d'une start-up française, qui a revendu ses deux précédentes sociétés en a fait les frais. « Pour ma première revente, j'ai fait un 'earn out' et ç'a été très conflictuel », raconte-t-il sans en dire plus, ce qui l'a poussé à ne pas retenter l'expérience et faire un « earn out » de quatre mois seulement. « C'était plus une transition, je ne voulais pas rester dans la boîte », confie l'entrepreneur. Benjamin Chemla, qui a revendu le spécialiste de la livraison Stuart à La Poste en 2017 (qui s'en est séparé depuis), estime que cette clause est paradoxale. « Il est rare qu'une boîte fasse une grosse croissance après un rachat. Soit une start-up investit dans sa croissance, soit elle vise la rentabilité… Comme le calcul est souvent fait sur l'EBIT, dans le premier cas, l'EBIT sera réduit », explique le dirigeant. Benjamin Bitton conseille d'être précis lors des négociations de rachat et de bien stipuler les ratios. « Ce n'est pas un business plan pour lever des fonds où il faut faire rêver les investisseurs. Sinon, ils vont s'en mordre les doigts. » Est-il possible de revoir les objectifs a fortiori ? « La force de négociation d'un fondateur est assez limitée. Je dirais que, dans 90 % cas, il n'est pas possible de renégocier », estime Arthur Porré.

Les difficultés pour partir peuvent aussi arriver quelques années après une ou plusieurs levées de fonds. Dans un pacte d'actionnaires, il existe la clause de « good/bad leaver », sorte de promesse de vente de l'intégralité des parts du fondateur quand il décide de cesser ses fonctions. En cas de démission fautive, une révocation ou un licenciement pour faute, il peut faire l'objet d'une décote (bad leaver).

Risque de décoter ses titres

« Aujourd'hui, des fondateurs veulent mettre en oeuvre leurs clauses de leaver, mais ne veulent pas tomber dans l'écueil du mauvais comportement, que ce soit considéré comme un bad leaver, et donc avoir une décote de leurs titres », raconte Pierre-Emmanuel Moati, avocat spécialisé dans le contentieux des affaires, qui voit affluer de plus en plus de cas depuis plusieurs mois.A cela s'ajoutent les clauses de liquidation préférentielle, qui permettent à un investisseur de récupérer sa mise en priorité en cas de revente. Et peut laisser le fondateur sans rien à la fin ! Autre « à la mode » depuis le retournement de marché : le « ratchet », qui prend souvent la forme de bons de souscription d'actions (BSA). Elle permet aux investisseurs de se « reluer » en cas de nouvelle levée de fonds avec une valorisation inférieure au tour précédent. Pas avantageux non plus pour le fondateur.