Quasiment tous les pays d'Europe enregistrent sur les douze derniers mois un nombre de défaillances d'entreprises supérieur à celui de 2019, c'est-à-dire avant la pandémie de Covid. C'est le cas en Allemagne, en France, en Espagne, en Belgique, au Portugal et aux Pays-Bas. Seule l'Italie est légèrement en dessous de son niveau d'il y a cinq ans, selon les chiffres de Coface. Certes, le nombre de défaillances a légèrement reculé au premier trimestre de cette année mais le niveau reste tout de même très élevé. Plus grave, les faillites ont continué à augmenter dans des secteurs clés tels que l'industrie, le transport et l'information communication.

« Une partie des défaillances s'expliquent par un effet de rattrapage », selon Bruno De Moura Fernandes, économiste de Coface. Plusieurs pays ont mis en place un moratoire sur les faillites pendant le Covid et les Etats ont aidé les entreprises en leur prêtant de l'argent à des taux favorables à l'exemple des prêts garantis par l'Etat (PGE) en France. Désormais, il faut rembourser ces emprunts.

Hausses de salaires

D'autre part, « les entreprises zombies, à la rentabilité très basse qui survivaient uniquement parce qu'elles pouvaient emprunter à taux faibles depuis plus de dix ans, se sont multipliées parce que la sélection naturelle ne fonctionnait pas. C'est beaucoup plus difficile aujourd'hui pour elles avec la hausse des taux », souligne l'économiste. Ensuite, « pendant dix ans, les crédits à taux bas ont permis aux entreprises d'investir dans des projets à faibles taux de rendement, c'est aujourd'hui un facteur de vulnérabilité de ces entreprises quand il faut renouveler les emprunts à des taux plus élevés », poursuit Jean-Christophe Caffet, chef économiste de Coface.

Enfin, il y a aussi les difficultés conjoncturelles. Mis à part la hausse des coûts de financement, les entreprises doivent faire face à des hausses de salaires et une demande qui reste anémiqueaprès deux ans d'inflation. Certes, cette augmentation des prix a permis à de nombreuses entreprises de relever leurs prix de vente et donc leurs profits. Mais désormais, les marges sont sous pression. Les coûts salariaux rapportés à la quantité produite par un salarié en zone euro affichent encore une hausse de 5,6 % sur un an sur les trois premiers mois de 2024. « Ce n'est pas compatible avec le retour à une inflation de 2 % dans la zone euro, sauf si les marges des entreprises baissent. Et c'est ce que l'on commence à voir », note Jean-Christophe Caffet. En résumé, « les coûts sont aujourd'hui nettement plus élevés qu'en 2019 mais pas la demande », dit-il.

Et « tout suggère que les défaillances d'entreprises, en nette progression ces derniers mois vont continuer d'augmenter au cours des prochains trimestres, sinon des prochaines années », estiment les économistes de l'assureur-crédit. Car les taux ne vont pas baisser très vite et plus ils restent élevés longtemps, plus les entreprises se refinanceront à des coûts élevés, ce qui risque de faire encore grimper le nombre de sociétés en difficulté.Pour le chef économiste de Coface, la progression du nombre des défaillances est donc « le principal risque autre que géopolitique pour les économies développées cette année. En cas de nouvelle accélération, ce qui n'est pas notre scénario privilégié, les destructions d'emplois augmenteraient et l'impact se ferait sentir sur la demande des ménages et donc sur la croissance », explique-t-il.Pour la suite de l'année, beaucoup dépendra de la baisse des taux de la BCE mais aussi de l'évolution de la demande. Les ménages sont en train de regagner du pouvoir d'achat avec les hausses de salaires et le coup de frein sur l'inflation. Mais ce n'est pas suffisant. Pour que les entreprises limitent la casse, il faut que la consommation reparte. Or, pour l'instant, le manque de confiance dans l'avenir pousse les ménages à épargner. La reprise économique et le recul des défaillances d'entreprises passent plus que jamais par une baisse du taux d'épargne.