Les cabinets de conseil s'arment face à l'envolée des défaillances d'entreprises. Coup sur coup, deux opérations majeures dans le secteur des consultants en restructuration viennent d'être annoncées en ce début de semaine, chez BDO et Interpath.
La reprise de la sinistralité était attendue depuis la fin de la pandémie, elle n'aura finalement démarré que cette année, le premier semestre ayant enregistré quelque 33.500 défauts d'entreprises. Et, à écouter le patron de BDO France, ce n'est qu'un début. Arnaud Naudan vient de signer le rachat d'Advance Capital, l'un des cadors de la restructuration des ETI et PME. Créée en 2007, cette structure est implantée à Lyon, Paris, Bordeaux et Aix-en-Provence, elle emploie 120 collaborateurs pour un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros.
Une fois ce rachat consolidé dans le prochain exercice 2025, BDO pourra revendiquer une force de frappe de 300 spécialistes et 60 millions d'euros de revenus dans l'accompagnement des opérations d'acquisitions et de restructurations.Trésorerie exsangue
« C'est le bon moment, on voit bien que les défaillances augmentent dans certains secteurs fragiles comme le BTP, à cause de la crise de l'immobilier, ou dans le commerce de détail, à cause de la baisse de la consommation. Les TPE ont d'abord été touchées, mais la taille des entreprises concernées augmente, notamment à cause des difficultés de rembourser les prêts garantis par l'Etat. D'ici à quelques mois, d'autres secteurs seront impactés », insiste le dirigeant.
Ces cabinets offrent la palette des savoir-faire des restructurations. Faire un audit de la situation juridique et financière de l'entreprise en souffrance, le montage de solutions de financement pour redonner de l'air temporairement à une trésorerie exsangue. Dans un deuxième temps des solutions opérationnelles sont étudiées : ventes d'actifs non stratégiques, accompagnement RH de plans sociaux, etc.BDO France s'attend à ce que l'activité atteigne l'an prochain 20 % du chiffre d'affaires de sa branche conseil. Le cabinet d'audit et de conseil a fait de ce dernier la locomotive de sa croissance annuelle insatiable, qui atteint 20 %. Il y a un an, il rachetait son confrère June.
L'exercice clôturé fin septembre promet 270 millions d'euros de chiffre d'affaires au total pour BDO. « Nous aurons atteint en 2025, avec un an d'avance, l'objectif de doubler de taille en quatre ans », claironne Arnaud Naudan. Une ascension menée à coups d'emprunts bancaires et avec la remise au pot régulière des associés.Ce rachat dans le « restructuring » replace BDO dans le sillage des grands spécialistes comme AlixPartners, Eight Advisory ou Oderis. Ce dernier cabinet vient, lui, de se muscler grâce à l'entrée au capital du fonds EMZ Partners et de Bpifrance, qui valorise l'entreprise autour de 50 millions d'euros.Marché très atomisé
Les concurrents se pressent au portillon de ce marché qui pèse pourtant moins de 400 millions d'euros de chiffre d'affaires et reste très atomisé, avec une multitude de petits cabinets d'experts-comptables au chevet des TPE et PME. Mardi, c'est le cabinet britannique Interpath Advisory qui a annoncé la finalisation de la reprise des activités « restructuring » de KPMG en France. Une façon d'accélérer son implantation toute récente en France. Pour Xavier Bailly, l'associé chargé des restructurations chez Eight Advisory, le secteur est très actif autour des acteurs indépendants. Il cite aussi le fort appétit du cabinet international FTI.Pour l'expert de Eight, la croissance du marché cette année est largement tirée par les opérations d'optimisation des coûts que lancent les entreprises face à l'érosion de leurs marges et en amont de la clôture des comptes 2024. Un effet à retardement de l'inflation qui a artificiellement gonflé les résultats de bien des secteurs confrontés désormais à une baisse de la demande.C'est typiquement le cas dans les biens de consommation ou le commerce de détail. Mais il nuance : « La situation macroéconomique n'est pas si mauvaise, et des secteurs vont bien dans les infrastructures, l'énergie, les technologies. » Il s'attend certes à une reprise des plans de sauvegarde de l'emploi en fin d'année, mais pas à une catastrophe.
Laurent Jourdan, avocat associé chez Racine, l'un des cabinets de référence dans la discipline, est plus pessimiste. Il traite les dossiers les plus graves, des PME jusqu'aux grands groupes comme Casino, et explique que le nombre de dossiers sensibles explose : « L'an dernier, la sinistralité augmentait en particulier dans quelques secteurs, comme l'imprimerie ou l'immobilier, mais nous ne sommes désormais plus dans un effet de rattrapage post-Covid, l'augmentation des taux d'emprunt et des prix des matières premières fait des dégâts dans tous les secteurs. » Arnaud Dupui-Castérès, le directeur général de Vae Solis Communications, accompagne de son côté une petite dizaine d'opérations alors que cette activité n'existait presque plus dans les années post-pandémie.Comme ses concurrents, il voit passer de plus en plus d'appels au secours des sous-traitants automobiles, ses clients travaillent également dans la distribution de matériel médical ou les cliniques privées. La crainte de ces cabinets pour l'an prochain : qu'ils manquent de bras pour répondre à la demande.