Et si, à l'avenir, nos biodéchets constituaient une nouvelle matière première ou devenaient même de nouveaux aliments ? Les enjeux sont considérables puisqu'ils constituent un tiers du contenu de nos poubelles, soit un total de 5,5 millions de tonnes par an selon l'Ademe. Et même davantage si l'on considère l'ensemble du gaspillage produit tout au long de la chaîne alimentaire, de la production agricole et la transformation industrielle à la distribution et la consommation.

Un premier pas a été effectué le 1er janvier 2024 avec l'entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et pour une économie circulaire (Agec). Elle oblige les collectivités à mettre à disposition de chaque habitant une solution de collecte ou de compostage. Même chose pour les restaurants, les hôtels, les bureaux d'entreprises. La loi est saluée car elle permet la naissance d'une activité foisonnante autour de la collecte de biodéchets. Mais elle inquiète certains spécialistes qui lui reprochent de n'évoquer que deux modes de valorisation : le compostage et la méthanisation. « Il est dommage que les autres voies ne soient pas mentionnées. Il ne faudrait pas que cette première étape freine les efforts des sociétés qui essaient de valoriser les biodéchets avec des voies alternatives, comme la biotechnologie industrielle », estime Esthèle Goure, ingénieure chez Bio Base Europe Pilot Plant (BBEPP), une société belge qui aide les entreprises bios à passer à l'échelle industrielle.

Très riches, les déchets organiques contiennent en effet des composants utiles pour une multitude de secteurs depuis les matériaux renouvelables, la chimie biosourcée, notamment la cosmétique, jusqu'aux textiles et à l'alimentation. Dès lors, on préfère éviter le mot déchet pour parler de « coproduit ». « Tous les biodéchets ont une valeur. Les écorces, les épluchures ou les pépins de fruits issus d'un processus de fabrication de compote recèlent de molécules antioxydantes. Les tourteaux, issus de la production d'huile, contiennent des composés lipidiques. D'autres molécules, plus grandes, ont des propriétés épaississantes ou gélifiantes », précise Carmen Malepeyre, directrice du Centre de valorisation des agroressources (CVA) de Brives. C'est l'industrie alimentaire qui possède le potentiel le plus important, avec un volume estimé à 11 millions de tonnes de coproduits générés par an.

Peau et pépins de tomate

Sur le terrain, beaucoup de bonnes volontés émergent mais les projets qui aboutissent restent rares. Les difficultés tiennent d'abord à la complexité technique. Les déchets sont souvent hétérogènes avec des flux qui varient dans le temps et selon les saisons. Ils doivent en outre être traités rapidement, sous peine de se dégrader et de perdre leurs qualités. Il faut enfin être capable d'investir, même en l'absence de modèle économique.Dès lors, le tandem gagnant associe souvent le producteur des déchets et une start-up. Comme celui constitué par la Coopérative agricole Provence Languedoc (CAPL) et Inaturals, une jeune pousse fondée par Leïla Falcao, docteur en oenologie de l'université de Bordeaux. Leur entreprise commune, Phenix en Provence, a investi 2 millions d'euros dans une plateforme qui récupère les déchets de production de coulis de tomates pour en extraire la peau et les pépins. « Nous produisons deux ingrédients destinés à la cosmétique : de la cire et de l'huile de tomates », explique Leïla Falcao. L'objectif est désormais de trouver une voie valorisation de l'eau des tomates (50 % du poids), qui contient beaucoup de minéraux.

Chez Green Spot Technologies, on exploite également les coproduits de l'industrie, mais ici pour les conserver dans la chaîne alimentaire. « Notre objectif est d'abord de lutter contre le gaspillage . Notre procédé, basé sur la fermentation, a exigé trois ans de R&D. Il est à la fois peu coûteux, sobre et susceptible de produire en volume », assure Benoît de Sarrau, le directeur technique. L'entreprise travaille sur trois coproduits : les déchets de pommes sont transformés en ingrédients pour l'industrie de la boulangerie, ceux de tomates servent d'épaississant et, enfin, les drèches, un coproduit issu du brassage de la bière, donne des arômes ou des texturants. « Nous pourrons passer de 100 tonnes à 1.000 tonnes par an en nous installant à proximité d'un gisement », assure Benoît de Sarrau. Le plus délicat est de trouver des marchés. « Nos ingrédients sont subtils à utiliser et obligent les industriels à adapter leurs recettes même s'ils y trouvent aussi leur intérêt en abaissant leur impact carbone », insiste-t-il.

A Gand (Belgique), le projet européen Waste2func, doté d'un budget de 7 millions d'euros, est piloté par BBEPP. Il utilise des pelures de pommes de terre, de la pulpe de betterave sucrière et des déchets alimentaires de supermarchés. Dans l'usine pilote, ces déchets, jusqu'à présent promis à la méthanisation, sont transformés en détergents biosourcés grâce à un procédé de fermentation mettant en oeuvre des micro-organismes.

Alternative au plastique

Valoriser les déchets alimentaires provenant directement de nos poubelles est un défi encore plus grand. C'est pourtant l'ambition de Dionymer, fondée par trois chimistes, qui traite des biodéchets collectés auprès des restaurants. « Les déchets alimentaires sont complexes à transformer car extrêmement hétérogènes. Nous nous affranchissons de ce problème grâce à notre procédé de double fermentation, qui met en oeuvre à chaque étape des bactéries spécifiques », explique Thomas Hennebel, cofondateur. Le modèle économique repose sur la production de PHA, un matériau polymère à la fois biosourcé et biodégradable qui constitue une alternative au plastique et entre dans la composition des cosmétiques. « Notre procédé s'inscrit dans la chaîne de valorisation des déchets en en tirant le maximum. Le PHA que nous produisons a beaucoup plus de valeur que le méthane, et les digestats qui sortent du procédé peuvent être méthanisés », insiste Thomas Hennebel. Encore au stade du laboratoire, Dionymer produit 1 kilogramme de PHA par mois. L'entreprise vise un stade préindustriel de 50 kilogrammes en 2025 puis « plusieurs milliers de tonnes par an d'ici 5 ans ».

L'avenir des biodéchets est pourtant difficile à prédire. « Pour développer la valorisation, il faudra des synergies entre de nombreux acteurs, notamment les nouveaux entrants de type start-up et les grands groupes du monde des déchets », estime Esthèle Goure. La réglementation jouera aussi un rôle majeur quant à la définition et la catégorisation des « déchets » afin d'en faciliter l'utilisation.