La crise du Covid-19, les tensions géopolitiques entre la Chine et les Etats-Unis et l'essor spectaculaire de l'intelligence artificielle ont mis en lumière le caractère stratégique des semi-conducteurs pour l'avenir économique de l'Europe. Et donné une impulsion bienvenue aux rares start-up de la French Tech qui évoluent dans le secteur. Scalinx est l'une d'entre elles. Née en 2015, cette jeune pousse est spécialisée dans la conception de circuits intégrés pour la conversion analogique-numérique et numérique-analogique. « Nous développons un composant clé dans les systèmes électroniques qui font l'interface entre l'antenne, où nous recevons et émettons les ondes radios, et le terminal fixe ou mobile qui fait le traitement numérique », précise son fondateur, Hussein Fakhoury. La start-up vient de boucler une levée de fonds de 34 millions d'euros auprès de l'Etat français - via son fonds French Tech Souveraineté -, Go Capital et Thales. Ce financement est constitué « à moitié d'equity, à moitié de dette et de subventions », poursuit le dirigeant, qui a un doctorat en microélectronique et a réalisé une partie de sa carrière chez NXP Semiconductors.A ses débuts, la start-up s'est concentrée sur le secteur de la défense (composants pour les radios tactiques) et sur celui des équipements de tests et de mesures. Mais elle cherche désormais à se diversifier, en collaborant avec des spécialistes des infrastructures de communication sans fil. L'objectif : faciliter le déploiement de la 5G et de la 6G ainsi que, dans le futur, la mobilité autonome. La société assure avoir déjà signé un contrat avec un client dans les infrastructures télécoms. Sa levée de fonds doit lui permettre de codévelopper un nouveau composant qui pourrait arriver sur le marché à horizon « fin 2026, début 2027 », indique le patron.

Scalinx fait partie du programme gouvernemental French Tech 2030. Elle y côtoie deux autres start-up dans les puces : Kalray, qui développe des processeurs et des cartes d'accélération destinées à traiter des flux massifs de données - cette dernière a fait le choix de s'introduire en Bourse dès 2018 - et SiPearl, un concepteur de microprocesseur basse consommation dédié au calcul haute performance, qui a levé 90 millions d'euros en 2023. « Il s'agit une technologie unique en Europe », vante son dirigeant, Philippe Notton.

Sous-traiter la production

Atos fait partie des investisseurs de SiPearl. Thales a, lui, parié sur Scalinx, avec qui il travaille depuis cinq ans. « C'est une belle reconnaissance de la robustesse de notre technologie », observe Hussein Fakhoury. Le groupe dirigé par Patrice Caine est aussi monté l'an dernier au capital de GreenWaves Technologies, start-up qui développe une puce sobre pour les applications embarquées d'intelligence artificielle dans les objets connectés, lors de son tour de table de 20 millions d'euros.

Le secteur des semi-conducteurs se caractérise par un effort important en R&D et des cycles de vente long auprès des grands comptes. Ce qui coûte très cher à financer. C'est pourquoi toutes ces start-up se concentrent sur le design des puces et confient la production industrielle à des partenaires, comme le géant taïwanais TSMC. « Les usines européennes ne sont pas la solution à tout », glisse Philippe Notton, en rappelant malicieusement que Nvidia, qui a vu sa capitalisation boursière et ses revenus exploser depuis un an grâce au boom de l'IA, mise sur ce modèle économique.

Ces dernières années, l'Etat français et l'UE, via le Chips Act, ont pris conscience qu'il fallait accompagner financièrement la filière. Ce qui limite les risques pour les investisseurs privés, même si l'avance significative des Américains et des Asiatiques peut encore effrayer. « Il y a quelques années, on ne serait peut-être pas allé sur ce type de marché », avoue Bertrand Distinguin, le président de Go Capital, qui a investi dans Scalinx car il a été séduit par la qualité de l'équipe et sa technologie différenciante. « Cela reste un chemin de crête, mais nous y croyons et sommes volontaristes. »

Pour faire émerger des leaders mondiaux, il faudra toutefois que des investisseurs européens aient une plus grosse force de frappe à l'avenir. Cela ne devrait plus tarder. En 2023, trois ex-dirigeants de Soitec, NXP et Infineon se sont alliés à Ardian afin de lancer un fonds dédié à la filière des semi-conducteurs (Ardian Semiconductor). Celui-ci pourrait injecter plus de un milliard d'euros en Europe et donc donner des armes supplémentaires aux start-up de la French Tech.