La question salariale risque fort de se poser encore au cours des prochains trimestres, voire dans les prochaines années. Certes, dans la plupart des pays développés, les salaires réels, tenant compte du niveau de l'inflation, augmentent désormais. Selon un récent rapport de l'OCDE, c'était le cas de 29 des 35 pays étudiés au premier trimestre de 2024. Le fait quela hausse des prix se soit nettement calmée depuis un an et demi explique évidemment ce mouvement.

Mais le problème, c'est que les pertes passées de pouvoir d'achat ne sont toujours pas effacées pour beaucoup. Ainsi, 16 pays de l'OCDE affichaient au premier trimestre des salaires réels inférieurs à leur niveau d'avant-Covid, soit les trois derniers mois de 2019. C'est notamment le cas en Europe de l'Allemagne, l'Italie, le Danemark, la Finlande, l'Espagne et la Suède notamment. Les salariés français, eux, n'ont ni perdu, ni gagné de pouvoir d'achat au cours des cinq dernières années, selon les calculs de l'OCDE.

Dans la zone euro, les salaires réels sont en recul par rapport à fin 2019, avant le Covid, de l'ordre de 2 %. « Le taux de marge des entreprises dans la zone euro était, fin 2023, supérieur de 2 points à son niveau de la fin 2019. Le partage du fardeau n'a donc pas été équitablement réparti entre les salariés et les entreprises. L'inflation n'a pas été créée par les salaires mais par les profits en Europe. Cela justifie aujourd'hui les revendications salariales dans les pays où la productivité n'a pas décroché », considère François Geerolf, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). En clair, les entreprises ont profité du brouillard créé par l'inflation pour augmenter leur prix de vente, ce qui a par définition contribué à nourrir cette même inflation.

Des salaires en hausse dans la zone euro

C'est une des raisons pour lesquelles les hausses de salaires restent relativement fortes dans la zone euro. Philip Lane, le chef économiste de la Banque centrale européenne, estimait, début juillet lors d'un discours à Naples, que le salaire par travailleur devrait grimper d'environ 4,5 % au deuxième trimestre hors inflation après avoir augmenté de 5 % au premier. En rythme annuel, cela correspond à une hausse de 2,5 % environ du pouvoir d'achat des salaires. Mais les gains de productivité sont très faibles dans la zone euro. « Il faudrait qu'ils accélèrent nettement pour que de telles hausses de salaires soient compatibles avec une inflation à 2 %, qui correspond à la cible de la BCE », estime Michel Martinez, économiste chez Société Générale.

Ensuite, une autre raison qui explique ces augmentations de salaires, c'est que « le marché du travail dans la zone euro reste tendu. Dans les enquêtes de conjonctures, les entreprises continuent de se plaindre des difficultés de recrutements », souligne l'économiste, alors qu'avec la crise inflationniste et la hausse des taux, on aurait pu s'attendre à ce que les entreprises rencontrent des contraintes de demande plutôt que d'offre. Le taux de chômage, à 6,4 %, reste d'ailleurs à son plus bas historique dans la zone euro.Enfin, les salaires minimums ont augmenté un peu partout. Tous les pays membres de l'OCDE affichent des salaires minimums supérieurs à leur niveau de la fin 2019 en tenant compte de l'inflation. Les gouvernements ont souhaité soutenir la rémunération des salaires les plus fragiles pendant la crise sanitaire puis pendant la crise inflationniste.Entre mai 2019 et mai 2024, dans les trente pays de l'OCDE ayant des salaires minimums, ceux-ci ont en moyenne augmenté de 12,8 % après prise en compte de l'inflation. Il y a toutefois un effet à cette hausse des salaires les plus faibles. Dans la moitié des pays de l'OCDE, « les salaires réels ont relativement mieux performé dans les secteurs à bas salaires que dans ceux à salaires moyens et élevés », note l'organisation. En clair, l'échelle des salaires a tendance à se tasser.