"Elle est venue nous voir après le concert pour proposer une tournée dans son pays", raconte, encore surpris par cette rencontre avec la programmatrice tanzanienne, Jeannick Arhimann, chanteur-compositeur du groupe Kiltir Maloya, formé à Saint-André (nord-est de La Réunion) en 1998 par cinq cousins.

Au fil des ans, ce groupe qui jouait "pour des mariages, des baptêmes ou des communions" s'est produit "en Australie, en Chine, en Pologne, en Afrique du Sud ou au Zimbabwe", énumère-t-il. Un parcours rendu possible notamment grâce au Sakifo Musik Festival, à Saint-Pierre, où ils ont été repérés dès les premières éditions il y a près de 20 ans.

Depuis, quatre albums sont nés. Leur cinquième sortira à l'automne. "On n'aurait jamais imaginé ça il y a 30 ans", confie Jeannick Arhimann.

Né dans les plantations sucrières de La Réunion à l'époque de l'esclavage, le maloya est à la fois une forme de musique, un chant et une danse. Métissé dès l'origine, avec des éléments d'origine africaine, malgache ou indienne, il était à l'origine un dialogue entre un soliste et un choeur, accompagné de percussions et dédié au culte des ancêtres.

Devenu au fil du temps un chant de résistance, il s'est transformé en expression identitaire, jusqu'à être inscrit en 2009 au patrimoine culturel immatériel de l'Humanité par l'Unesco. Aujourd'hui, environ 300 groupes sont recensés et le maloya bénéficie d'un enseignement spécialisé au conservatoire de Saint-Denis.

- Héritage vivant -

Parallèlement, le maloya se métisse avec le rock, le reggae ou le jazz et continue d'évoluer avec l'introduction de nouveaux instruments.

Des artistes comme Danyèl Waro, 70 ans aujourd'hui et pionnier de sa diffusion à l'international, ont contribué à faire rayonner cette musique bien au-delà de l'île. En 2010, il a reçu le prix de l'Académie Charles-Cros pour l'ensemble de son œuvre.

Dès 1997, Nathalie Natiembé a elle aussi commencé à exporter le maloya, lors de festivals européens. 

D'autres musiciens réunionnais ont suivi cette voie: Lindigo, Christine Salem, Votia, Etinsel Maloya, Maya Kamaty ou encore Flambola. Tous revendiquent une forme de filiation avec le maloya traditionnel, tout en l'ouvrant à d'autres influences – africaines, malgaches, voire électro ou pop.

Aurus, l'une des figures de cette nouvelle génération, mêle ainsi maloya, pop et électro dans des titres chantés en créole et en anglais, régulièrement programmés dans des festivals français comme les Francofolies de La Rochelle.

À La Réunion, l'Indian Ocean Music Market, organisé en marge du Sakifo, joue un rôle central dans cette ouverture. Il permet aux artistes locaux de rencontrer des programmateurs venus du monde entier et de présenter leur travail dans un cadre professionnel.

"La plupart des artistes réunionnais se sont fait repérer à cette occasion", explique Jérôme Galabert, fondateur du Sakifo et directeur des Francofolies de La Réunion, organisées chaque mois de juin.

Grâce à ce rendez-vous, Kiltir Maloya a pu se produire en Chine, en Australie, en Inde ou encore à Zanzibar (Tanzanie). "L'idée est de donner de la visibilité aux artistes, que cela leur serve de tremplin", souligne Jérôme Galabert.

Pour Kiltir Maloya, c'est l'authenticité qui fait la différence. "On joue avec des instruments traditionnels réunionnais, on chante 100% en créole réunionnais. On emmène la vérité de la musique, c'est ça qui plaît", assure Jeannick Arhimann.

"Et surtout on cherche l'émotion, bien plus que la technique. Notre show est vivant: on sait comment on commence, pas toujours comment on finit."