« Faire bouger les lignes » et « le rapport au doctorat » : le ministre de l'Enseignement supérieur, Patrick Hetzel, qui doit présenter son pacte pour la recherche d'ici à une quinzaine de jours, veut faire entrer plus de docteurs dans les entreprises.Il s'est exprimé mardi soir dernier depuis Bercy, au côté du ministre délégué à l'Industrie, Marc Ferracci, lors de la remise du rapport de Sylvie Pommier (ex-présidente du Réseau national des collèges doctoraux) et Xavier Lazarus (directeur associé du fonds d'investissement Elaia). Ils avaient été missionnés l'an dernier par leurs anciens homologues, Sylvie Retailleau et Roland Lescure.Avoir plus de docteurs dans les entreprises, « c'est la condition de l'innovation » et d'une compétitivité « qui ne soit pas uniquement basée sur la maîtrise des coûts », mais aussi « sur la qualité et la recherche », plaide Marc Ferracci. Le ministre pointe « le retard » de la France vis-à-vis des Etats-Unis. Patrick Hetzel cite l'Allemagne où les titres de « docteur » s'affichent sur les cartes de visite.

Trois recommandations

Les ministres - tous deux docteurs - ont retenu trois des dix recommandations du rapport : mise en place d'une journée européenne du doctorat ; création d'une plateforme nationale consacrée au doctorat et à l'emploi des docteurs ; renforcement des liens entre les formations d'ingénieurs et la recherche. Elles vont « alimenter ma feuille de route », assure Patrick Hetzel.

Les entreprises accueillent aujourd'hui 11 % de chercheurs, à comparer aux 56 % d'ingénieurs. « Les écoles d'ingénieurs représentent un vivier qui n'est pas suffisamment exploité », selon le ministre de l'Enseignement supérieur qui veut « encourager les parcours prédoctoraux pour les étudiants en ingénierie ».

Laurent Champaney, à la tête de la Conférence des grandes écoles et directeur général d'Arts et Métiers, « approuve », tout en indiquant que « les écoles d'ingénieurs font déjà beaucoup de recherche ». « Les parcours prédoctoraux existent, mais on a un problème pour les alimenter », explique-t-il. Les étudiants, souvent embauchés avant d'avoir terminé leur cursus d'ingénieur, « hésitent » à faire trois ans d'études supplémentaires, d'autant que le doctorat est peu voire pas valorisé dans le premier emploi.Faut-il, pour les « motiver », une plateforme consacrée à l'emploi des docteurs, comme le recommande le rapport ? « Même si le début de carrière n'est pas mieux rémunéré après trois ans de doctorat, ce diplôme permettra ensuite une accélération de carrière, assure Laurent Champaney, mais on manque de chiffres pour l'étayer. » Il évoque « le scepticisme » des étudiants à s'engager dans cette voie. « Pourtant, quand ils partent à l'étranger, ils ont moins d'aversion à l'égard de la recherche et s'embarquent parfois dans des PhD (doctorat) sans revenir en France. » Il cite le cas de cet étudiant parti à l'étranger, qui a commencé un projet de recherche sur place, et pour lequel on lui a donné à lire des papiers scientifiques… dont les auteurs étaient ses anciens professeurs d'Arts et Métiers. « Ce sont des sommités dans leur spécialité, lui a-t-on expliqué. Cet étudiant ne s'était jamais posé la question lorsqu'il était à l'école. »

Réseau d'ambassadeurs

Marc Ferracci suggère encore de créer un « réseau d'ambassadeurs du doctorat qui seraient chargés de valoriser, d'incarner la diversité des parcours et des carrières docteurs » ; et de « faire la transparence sur le nombre de docteurs dans chaque entreprise ».

Mais le gouvernement peut-il réellement promouvoir le doctorat, alors que la loi de programmation de la recherche ne pourra pas bénéficier de tous les financements promis pour 2025 et qu'une nouvelle loi sur l'immigration se profile ? En janvier dernier, après la censure par le Conseil constitutionnel des mesures concernant les étudiants étrangers dans la loi immigration, Sylvie Pommier avait déclaré, dans une interview au média spécialisé News Tank : « Ce que nous avons fait avec ce projet a dégradé l'image de la France. Le mal a été fait. »

« La politique d'attractivité des talents doit continuer de structurer notre action collective, insiste Marc Ferracci, il ne faut pas perdre ce fil. » Patrick Hetzel tente aussi de rassurer : « Concernant les étudiants ou les enseignants-chercheurs étrangers, il est clair que nous allons poursuivre la dynamique d'attractivité. » « Notre rôle est de faire en sorte que la France ne décroche pas en matière de recherche et d'enseignement supérieur, ajoute-t-il, il faut s'assurer que l'investissement global puisse se poursuivre. » Cela fait des années que la France essaie en vain d'augmenter le nombre de docteurs dans les entreprises. Pour changer la donne, Patrick Hetzel compte aussi sur « des variables exogènes » et notamment sur l'intelligence artificielle et le développement du numérique. La nécessité de recherche intensive de ces secteurs est telle que les besoins en compétences amèneront à recruter des profils de type bac +8, prédit-il.