C'est un passage obligé de chaque réforme des retraites : pour faire accepter un relèvement de l'âge légal de départ ou de la durée de cotisation, les gouvernements, de droite comme de gauche, créent de nouveaux droits pour une retraite anticipée. Pour arracher l'appui de la CFDT, la loi Fillon de 2003 a ainsi permis à des centaines de milliers de salariés ayant commencé à travailler très jeune de partir avant 60 ans, ce qui a eu pour effet de diminuer l'âge moyen de départ à la retraite au milieu des années 2000 ! Même la réforme Sarkozy de 2010, qui n'avait pas fait l'objet d'un accord avec des syndicats, a prévu un assouplissement des conditions de départ anticipé, dont les effets sont loin d'être négligeables aujourd'hui (une dépense supplémentaire de 700 millions d'euros), comme l'indique le dernier rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Ajouté à cela le décret de 2012 visant à revenir partiellement à la retraite à 60 ans, on aboutit à un total de 150.000 départs anticipés pour le seul régime général du privé en 2013, soit un départ sur cinq. Et une facture de 1,5 milliard d'euros. Ce n'est pas fini : les nouveaux assouplissements figurant dans la réforme des retraites version Hollande (loi du 20 janvier 2014) vont permettre chaque année à environ 180.000 salariés de partir avant l'âge légal d'ici à 2020. On ne compte pas ici les départs anticipés des militaires, de certains fonctionnaires (policiers, infirmières, etc.) ou des agents des entreprises publiques (SNCF, RATP, EDF).A l'avenir, un autre dispositif porteur de nouveaux droits va monter en puissance : les départs anticipés liés non pas à une entrée précoce sur le marché du travail, mais à des conditions de travail pénibles. Là encore, environ 20 % des salariés pourraient à terme en bénéficier. Et pour simplifier un dispositif risquant de se transformer en usine à gaz pour les entreprises (il faut mesurer l'exposition de chaque salarié), des « points pénibilité » pourraient être prédéterminés par métier, avec le risque de voir ressurgir des mécanismes automatiques ressemblant fort à des régimes spéciaux...A chaque fois, les motifs invoqués sont parfaitement légitimes : les salariés ayant commencé très jeunes cotisent plus que les autres sans en tirer bénéfice, les personnes effectuant des tâches pénibles ont une espérance de vie moins longue, etc. Mais, au final, les dispositifs s'empilent et les déficits avec. Car, contrairement aux affirmations répétées à droite avant 2012 puis à gauche aujourd'hui, les réformes des retraites ne permettront pas de ramener les comptes à l'équilibre, loin de là. Le déficit du seul régime général du privé (Fonds de solidarité vieillesse compris) devrait encore être de 5 milliards cette année. Il faudra d'autres réformes. Et d'autres dispositifs de départ anticipé ?