Après l'euphorie des promesses, le temps des doutes est désormais arrivé pour l'IA générative. De plus en plus de questionnements émergent sur l'intérêt réel de l'intelligence artificielle dans les entreprises. La plupart ont certes expérimenté l'IA et mettent en place des cas d'usage. Même si des premiers gains de productivité réels ont été constatés pour certaines taches (préparation de présentations pour les consultants, réponses à des questions dans des centres d'appels, recherche pour des professions juridiques…), ces tests n'ont pas débouché sur une révolution d'une multitude de process. La destruction massive de millions d'emplois et l'apparition de nouveaux métiers assistés par une technologie omnisciente n'ont pas eu lieu.Des sociétés commencent même à revenir en arrière, à l'image de McDonald's. Ses essais de commandes automatisées ont été arrêtés, à la suite d'erreurs vraisemblablement. Un exemple qui résonne aussi avec une certaine prudence des économistes.

Peu de tâches affectées

Il y a quelques semaines, Daron Acemoglu, économiste du prestigieux MIT, publiait une étude prévoyant une hausse limitée autour de 1 % du PIB sur les dix prochaines années. Pour le spécialiste, le nombre de tâches que l'IA va affecter n'est pas massif à court terme. Qu'importe alors si l'IA permet déjà des gains de productivité bien plus importants sur les périmètres où elle est expérimentée.Il y a quelques mois, une autre étude de plusieurs chercheurs du MIT montrait aussi en substance qu'avoir des salariés restait globalement moins coûteux que de les remplacer par des machines.Des analyses qui tranchent avec plusieurs études et cabinets de conseils promettant monts et merveilles mais aussi destructions massives d'emplois. Par exemple, l'an dernier, Goldman Sachs prévoyait une augmentation du PIB de 7 % en dix ans et une menace sur 300 millions d'emplois dans le monde.Il n'y a qu'à lire un récent papier de Goldman Sachs pour se rendre compte que l'enthousiasme est un peu retombé. Les opinions y apparaissent très contrastées… à l'intérieur même de la banque. Ainsi quand l'économiste senior, Joseph Briggs, prévoit une croissance de 6 % du PIB, Jim Covello, responsable de la recherche sur les actions mondiales, est plus circonspect.Il doute que les coûts de l'IA diminuent suffisamment pour que l'automatisation d'une grande partie des tâches soit abordable. « Nous estimons que la mise en place d'une infrastructure d'IA coûtera plus de 1.000 milliards de dollars rien qu'au cours des prochaines années [dépenses liées aux centres de données, à l'énergie et aux applications…]. La question cruciale est donc la suivante : quel problème de 1.000 milliards de dollars l'IA va-t-elle résoudre ? » De nombreuses personnes tentent de comparer l'IA d'aujourd'hui aux premiers jours de l'Internet, rappelle le spécialiste. Mais même à ses débuts, l'Internet était une solution technologique peu coûteuse qui a permis au commerce électronique de remplacer des services coûteux. Amazon a pu proposer un accès à tous les livres ou presque pour moins cher que n'importe quelle librairie…Difficile en outre de savoir si l'utilisation de l'intelligence artificielle reste un « gadget » dans les entreprises. Selon le BCG, 68 % des sondés dans le monde déclarent utiliser régulièrement l'IA générative. Mais comme le rappelle le « Wall Street Journal », citant une étude de la société Ramp, environ un tiers seulement des entreprises - un chiffre en hausse - paient pour des outils d'IA. Ce qui suggère un fossé énorme entre les salariés qui jouent avec l'intelligence artificielle et ceux pour lesquels l'entreprise a mis en place des outils payants. Parmi celles qui paient, une enquête du « Wall Street Journal » montrait que l'efficacité des outils et la fiabilité des réponses laissaient parfois à désirer. Et poussaient même à se désintéresser de la technologie.

Les consultants veulent y croire

« L'utilisation réelle de l'IA reste très limitée, et il ne faut pas forcément se fier aux sondages qui montrent que tout le monde essaie », appuie Jacques-Aurélien Marcireau, coresponsable de la gestion actions d'Edmond de Rothschild AM. Pour lui, l'un des juges de paix sera l'analyse des résultats des éditeurs de logiciels. « Les entreprises technologiques sont parmi les premières utiliser les technologies récentes pour bénéficier de gains de productivité. Or, pour l'instant, on ne voit pas de boom des marges », explique-t-il. Au contraire, Salesforce a fortement baissé en Bourse en mai, après ses résultats.Du côté des consultants, l'optimisme demeure. « Les entreprises dans lesquelles nous avons mis en place des expérimentations affichent des gains de productivité de l'ordre de 10 à 15 % sur les tâches avec IA », assure Nicolas Gaudemet, chez Onepoint. Selon un sondage du BCG, 60 % des Français utilisant l'IA estiment à cinq heures le temps gagné par semaine. « On a cru que l'IA était magique et pouvait tout faire. Et surtout, on a surestimé la vitesse : la technologie avance à une vitesse exponentielle mais pas les entreprises. L'IA suppose une transformation d'organisation pour en tirer tous les bénéfices, or cela prend du temps. Notamment, en Europe, compte tenu de freins sociaux », appuie Nicolas de Bellefonds, responsable mondial de l'entité IA du BCG.