Ce jour-là, l'action se déroule sous un grand arbre au pied duquel les notables d'un village se rassemblent pour échanger après la mort d'un riche planteur de cacao de la région. Dans ce film, ses enfants, de retour dans leur village natal, vont se disputer l'héritage du patriarche. 

Abritant de plus en plus de productions locales, panafricaines et internationales, comme la dernière comédie de Jean-Pascal Zadi à l'affiche en France, la Côte d'Ivoire tente de s'imposer comme une terre de tournage en Afrique, à l'ombre de la florissante industrie du Nollywood nigérian.

Selon le ministère de la Culture ivoirien, le pays a accueilli une trentaine de tournages de films et séries en 2024. Cette année, 39 autres projets ont déjà obtenu une autorisation. 

Entre deux prises, la chargée de production du film "Le Testament", Shaidate Coulibaly, 31 ans, se réjouit. 

"C'est un secteur vraiment en train de se développer localement", constate-t-elle auprès de l'AFP. "La nouvelle génération veut raconter son quotidien, des histoires qui la représentent", et "compte de plus en plus de techniciens, de cinéastes passionnés".

"On a des gens capables d'assurer toute une production sans avoir la nécessité d'aller chercher ailleurs", appuie le réalisateur burkinabè du film, Adama Rouamba, qui a vu le secteur se structurer en Côte d'Ivoire ces dernières années. 

- "Raconter nos propres récits" -

Si son film a pu bénéficier de subventions publiques, "les investisseurs privés restent frileux", poursuit Shaidate Coulibaly, qui a dû "se battre" pour financer son film. 

"La crédibilité du cinéma ivoirien se construit petit à petit", juge-t-elle. 

Le réalisateur franco-ivoirien Philippe Lacôte a fait d'Abidjan le décor de ses films depuis ses débuts en 2002. Il vient d'achever le tournage de sa nouvelle série musicale, "Clash", entre Abidjan et Kinshasa, mettant en scène la rivalité de deux stars du coupé-décalé, un genre musical qui a fait la réputation de la scène ivoirienne. La série a été réalisée par une équipe exclusivement locale.

"Ça n'aurait pas été possible il y a quelques années", observe le cinéaste, qui regrette cependant le manque de formation. 

Le gouvernement "réfléchit à créer des filières dans les écoles" existantes, assure Amadou Coulibaly, ministre ivoirien de la Communication, et "il y a une ambition de former localement tous les intervenants du secteur cinématographique".

Pour la Côte d'Ivoire, qui accueillait fin juin le 3e Salon international du contenu audiovisuel (SICA), l'enjeu est économique, mais aussi culturel. 

Il est question de se réapproprier les représentations africaines dans l'audiovisuel, longtemps accaparées par des productions occidentales. 

Pour l'acteur et réalisateur français d'origine ivoirienne Jean-Pascal Zadi, venu présenter son dernier film, "Le grand déplacement", tourné à Abidjan, le cinéma est un outil d'influence et de rayonnement politique. 

"C'est important pour moi de participer au développement de l'industrie culturelle africaine. On a besoin de produire nos propres récits et des contenus de qualité", dit-il. Son prochain long-métrage, un film d'action, sera également tourné en Côte d’Ivoire.

Sur place, le nombre de productions ivoiriennes explose. A l'Office national ivoirien du cinéma, Adama Konkobo parle d'"année exceptionnelle" pour 2024 et calcule qu'une vingtaine de films ivoiriens ont été projetés l'an dernier. 

Le cinéma local est encore loin de faire jeu égal avec les productions étrangères, américaines par exemple, avec 6% des entrées en salle l'an dernier contre 80% de billets vendus pour des films produits ou coproduits aux États-Unis. 

"Ce qui manque au développement du cinéma local, c'est une vision claire des autorités", estime Philippe Lacôte, regrettant que le gouvernement mise sur l'accueil de tournages étrangers sans financer les productions ivoiriennes. 

"Ça crée des emplois", reconnaît-il, "mais ça ne développe pas le cinéma national".

"La volonté politique existe", répond Amadou Coulibaly qui met en avant un "mécanisme de subvention" bientôt en place à destination des jeunes talents ivoiriens. 

Autre obstacle au développement du cinéma local: le pays ne compte que 15 salles, presque toutes concentrées à Abidjan, les films trouvant leur audience à la télévision et en streaming. 

Un projet d'ouverture d'une salle à Bouaké (centre) et l'arrivée des cinémas Pathé à Abidjan en 2024 témoignent toutefois d'une nouvelle dynamique qui pourrait s'accélérer.