Voilà une bonne nouvelle pour l'économie française apportée par la révision des comptes nationaux effectuée par l'Insee fin mai : la chute de la productivité par tête dans l'Hexagone a été moins forte que ce qui avait été estimé précédemment. Entre le quatrième trimestre 2019 et le premier trimestre 2024, la baisse n'est plus de 3,9 % mais de 2,3 %, selon l'Insee. La productivité horaire a suivi la même tendance avec un recul limité à 2,1 %, au lieu de 4,1 %.
Alors que le Conseil d'orientation des retraites (COR) a transmis lundi des nouvelles projections en revoyant ses hypothèses de productivité en France, cette correction devrait néanmoins nourrir le débat. Elle s'explique notamment par une révision à la hausse de l'activité économique depuis la pandémie de Covid. La croissance a atteint 3 % entre 2019 et 2023, et non pas 2 %, selon l'Institut de la statistique. Les créations nettes d'emplois ont, elles, été légèrement révisées à la baisse.Pour, Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la donnée la plus significative est l'évolution de la productivité du secteur privé. Et, là aussi, les révisions apportent une bonne surprise : entre fin 2019 et le premier trimestre 2024, la productivité des salariés du privé a diminué de 1,6 % seulement, contre une précédente estimation à 4,4 %. « Il y a finalement 3 points de baisse qui n'existaient pas ! » s'exclame l'expert.La révision des comptes a de fait conduit à des modifications significatives des données : « Au cours des dix-sept derniers trimestres, la valeur ajoutée marchande non agricole a progressé de 4,6 %, au lieu de 2,2 %. L'emploi salarié a de son côté augmenté de 6,2 %, contre 6,6 % constaté précédemment », détaille Eric Heyer.Malgré cette réactualisation, la France ne récupère pas le terrain perdu depuis le début de la crise sanitaire. Avant la pandémie, la productivité horaire y progressait bon an mal an de 0,9 % par an. « Si la tendance s'était prolongée, la productivité du travail serait supérieure de 3,8 points à son niveau de 2019. On a donc perdu un plus de 5 points par rapport à la tendance d'avant crise », calcule Eric Heyer.Des travaux récents de la Banque de France montrent que le rattrapage devrait être lent et partiel. Le gouvernement est, lui, plus optimiste et table sur une hausse de la productivité du travail de 0,9 % dès 2024.
De multiples facteurs
Plusieurs facteurs ont été mis en avant par les économistes pour expliquer cette chute de la productivité, sans que le phénomène ait livré tous ses mystères. Parmi elles, figurent l'essor considérable de l'apprentissage, les rétentions de main-d'oeuvre au sein des secteurs où l'activité est restée perturbée après le Covid, tel l'aéronautique. Les mesures de soutien mises en place par le gouvernement pour préserver l'emploi pendant la crise sanitaire ont aussi joué. S'ajoute la nette hausse de l'absentéisme dans les entreprises depuis la pandémie. Enfin, l'amélioration du taux d'emploi a pu s'accompagner du retour sur le marché du travail de personnes moins productives.
« Tout cela n'explique pas pourquoi les entreprises ont continué à embaucher de façon importante, alors que l'activité était médiocre », observe Philippe Waechter chez Ostrum Asset Management. « Le tableau demeure obscur », juge également Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, qui note que les pertes de productivité sont plus importantes en France que dans la zone euro, « en raison notamment d'une hausse du taux d'emploi plus soutenue », souligne-t-il.Les experts de l'Insee devraient livrer une radiographie plus complète de l'évolution de la productivité en France dans une étude spécifique qui sera publiée en juillet.