Ces plaintes ont été étudiées par les 17 juges de la Grande chambre, formation la plus solennelle de l'institution qui siège à Strasbourg.
A l'audience le 12 juin 2024, la Russie avait pratiqué la politique de la chaise vide. Si le pays n'est plus partie à la Convention européenne des droits de l'Homme depuis le 16 septembre 2022 en conséquence de l'agression à l'encontre de l'Ukraine entamée quelques mois plus tôt, il reste responsable des violations des droits fondamentaux commises avant cette date.
Et ces violations de la part de Moscou sont "massives et systématiques", selon le gouvernement ukrainien. Le comportement du Kremlin "rappelle celui de l'Allemagne entre 1939 et 1945", avait dénoncé à l'audience Iryna Mudra, directrice adjointe du cabinet du président Volodymyr Zelensky.
Les représentants de Kiev avaient exposé comment, dès 2014, des "agitateurs ont été amenés dans le Donbass pour participer à un soulèvement" et ont procédé à des "meurtres de civils et des enlèvements", ainsi qu'à des "actes de tortures" sur des détenus.
- "Pleinement confiants" -
Ils avaient également détaillé "l'invasion à grande échelle" menée à partir de février 2022 et l'usage "aveugle et disproportionné de la force" contre les civils et leurs biens, citant les exemples des villes de Boutcha, Marioupol ou Irpin, et la "violation des corridors humanitaires", à Zaporijjia notamment.
La Cour doit également statuer sur la destruction du vol MH17, parti d'Amsterdam vers la Malaisie le 17 juillet 2014, abattu par un missile dans la région de Donetsk, dans le Donbass, et qui avait fait 298 victimes.
"Nous attendons avec impatience la décision prochaine de la Grande chambre", a déclaré à l'AFP Piet Ploeg, qui a perdu son frère, sa belle-sœur et son neveu dans la catastrophe, et préside l'association de proches de victimes "Stichting Vliegramp MH17".
"Nous savions bien sûr que la Cour avait besoin de temps pour rendre cette décision. Mais nous sommes pleinement confiants dans l'issue de l'affaire du vol MH17, surtout après la décision du Conseil de l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI) en mai dernier", qui a attribué la responsabilité de la catastrophe à Moscou.
En novembre 2022, un tribunal néerlandais avait condamné, en leur absence, trois hommes - deux Russes et un Ukrainien - à la réclusion à perpétuité pour la destruction en vol du Boeing 777 de Malaysia Airlines avec une batterie antiaérienne BUK identifiée comme appartenant à la 53e brigade de missiles antiaériens de Koursk en Russie.
En février 2023, les enquêteurs de l'équipe internationale d'investigation conjointe (JIT) avaient déclaré qu'il y avait de "fortes indications" que le président russe Vladimir Poutine avait personnellement autorisé l'envoi de cet équipement lourd dans l'est de l'Ukraine.
- "Soutien sans équivoque à l'Ukraine" -
Vingt-six Etats, dont la quasi-totalité des membres de l'Union européenne, ont été autorisés à intervenir dans la procédure et à soumettre des observations écrites, ainsi que diverses ONG.
Au nom des Etats européens, une représentante du gouvernement norvégien s'exprimant en leur nom, Henriette Busch, avait exprimé lors de l'audience un "soutien sans équivoque à l'Ukraine" et demandé la "condamnation la plus ferme des violations flagrantes commises par la Russie".
Si la plupart des requêtes émises devant la CEDH sont introduites par des individus, des sociétés ou des ONG, les Etats peuvent également en présenter une contre un autre Etat dans ce qui devient alors une "affaire interétatique".
Plus de 30 affaires interétatiques ont été présentées depuis 1953, et la Cour a parfois ordonné aux Etats ayant violé la Convention de verser des indemnités, parfois en centaines de millions d'euros.
Une condamnation de la Russie pourrait cependant rester symbolique: depuis septembre 2022, Moscou ne donne plus aucun signe de vie devant la Cour, et ne répond plus aux questions qui lui sont posées dans des affaires pendantes.
Auparavant, le pays avait payé plus ou moins régulièrement les sommes auxquelles il était condamné, à l'exception des 1,8 milliard d'euros d'amende dans l'affaire du groupe pétrolier Ioukos, qu'elle a toujours refusé de régler depuis sa condamnation en 2014.
Quinze affaires interétatiques sont actuellement instruites par la Cour, dont trois autres concernant les événements dans la péninsule ukrainienne de Crimée annexée en 2014 par la Russie, dans l'est de l'Ukraine et dans la mer d'Azov.