Comme par magie, l'escalier hélicoïdal du château de Chambord prend l'apparence d'une molécule d'ADN : un moyen d'illustrer l'unicité de ce joyau architectural… et d'attirer les foules, après deux années de restauration des lanternons ornant la toiture. Si d'aucuns attribuent à Léonard de Vinci l'escalier à double révolution, c'est à une intelligence artificielle que l'on doit le visuel de la dernière campagne du plus vaste des châteaux de la Loire. Reste que la génération de contenus textuels et visuels ne représente qu'une infime partie des cas d'usage de l'IA dans la relation client.

« Des dizaines de solutions d'intelligence artificielle sortent chaque semaine et répondent à des besoins spécifiques, depuis l'acquisition de nouveaux clients jusqu'à la fidélisation », résume Bertrand Laurioz, le PDG de Dékuple, spécialiste du data marketing. Convaincu que « la vague de l'IA est prise », il revendique l'accompagnement d'une cinquantaine d'entreprises sur le sujet, « soit pour former leurs collaborateurs, soit pour mettre en oeuvre des projets opérationnels ».

Sur toute la chaîne de valeur, l'IA semble sonner comme une promesse de meilleure compréhension des attentes, de ciblage plus performant, de personnalisation à l'extrême, et même de gestion optimisée des chaînes d'approvisionnement. En pratique, le groupe de petit électroménager SEB recourt à l'IA pour produire des contenus garantissant un meilleur référencement sur Google. L'opticien néerlandais Hans Anders confie à un algorithme le visage du client pour l'aider à choisir sa monture de lunettes. Netflix dissèque les choix de ses abonnés pour suggérer des films et séries correspondant à leurs visionnages passés, allant jusqu'à remplacer l'affiche officielle de l'oeuvre par une vignette personnalisée. Sachant que pléthore d'autres exemples, dans tous les secteurs, sur tous les marchés, complètent la liste, y compris dans le B to B.

Rêve de marketeur

Chez Edenred, qui compte 160.000 entreprises clientes en France, soit 10 millions de salariés utilisateurs de ses titres-restaurants et autres cartes cadeaux ou mobilité, l'IA permet « d'offrir le parcours le plus fluide possible malgré une hypercroissance de clients », dixit son directeur expérience clients et opérations, Damien Nuyttens. « Qu'il s'agisse de l'activation ou du rechargement d'une carte, du suivi de son solde ou de sa mise en opposition, nous devons apporter une réponse adaptée, en temps réel, à l'échelle de millions d'utilisateurs : pour cela, nous avons besoin des capacités exponentielles de l'IA », explique-t-il, en ajoutant que ces technologies permettent de produire des messages individualisés dès le recrutement de nouveaux clients.

« Du fait d'une connaissance affinée des besoins, nous sommes plus pertinents dans nos discours : c'est comme si se réalisait le rêve du marketeur de pouvoir faire du 'one to one' pour chaque catégorie de prospects, tout en continuant la massification du 'one to many' », synthétise Damien Nuyttens. Pour sa part, Julien Féré, associé Marketing et Communication chezOnepoint et professeur associé au Celsa-Sorbonne Université, rappelle que « l'optimisation créative dynamique [le fait d'adapter la création publicitaire à la personne à qui on l'adresse, NDLR] n'a rien de nouveau ».

Réseaux de neurones

« Ce qui change avec l'IA, notamment générative, c'est la démultiplication des déclinaisons, puis l'automatisation du déploiement et, enfin, l'analyse et la mesure des résultats d'une campagne pour en tirer des conclusions », observe-t-il. Au-delà du marketing et de la communication, l'IA s'est ancrée dans la logistique, toujours en vue de satisfaire le client final. « Les entreprises peuvent tirer parti des avancées en intelligence artificielle, notamment des réseaux de neurones et des algorithmes d'apprentissage profond, pour optimiser chaque étape de leur processus d'approvisionnement, de la prévision de la demande à la distribution, en passant par les achats de matières premières et la gestion des stocks », souligne Chaaben Kouki, professeur en gestion de la supply chain et responsable du Data Lab de l'Essca. Selon lui, « pour alimenter efficacement ces systèmes en données, il n'est pas nécessaire de disposer d'une armée de data scientists dédiée : la clé réside dans l'appui simultané des experts métier et de l'IA, permettant d'affiner les algorithmes ».

De même, Damien Nuyttens rappelle que « l'IA n'est pas là pour inventer la réponse, elle doit être surveillée pour éviter les dérives ». Une référence à la compagnie aérienne Air Canada, récemment condamnée pour une erreur de tarification émanant de son chatbot de relation client. Autre limite de l'IA : son incapacité à déjouer la triche et les détournements de clients émettant des profils mal renseignés. « Il y a une dissonance entre le discours sur la toute-puissance du marketing, avec un côté Big Brother, selon lequel les communicants sauraient tout sur le client, et la réalité, où les entreprises s'emparent de cette machine complexe de façon parfois un peu artisanale », constate Julien Féré. Et de conclure néanmoins, que, « conscientes du caractère vertigineux de l'IA, les entreprises avancent vite dans son usage, mais avec prudence, en pesant les risques ».