Avec ses nouveaux films "Nouvelle Vague" et "Blue Moon", le réalisateur américain Richard Linklater esquisse une réponse, en explorant les vies de deux créateurs dont les films et pièces de théâtre ont bouleversé le cinéma français et les comédies musicales de Broadway.
Sa conclusion est sans appel.
"L'IA ne va pas faire un film", estime auprès de l'AFP ce poids lourd du cinéma d'auteur.
"Raconter une histoire, avoir une narration, des personnages ? Quelque chose qui se connecte à l'humanité ? C'est un tout autre truc", ajoute le Texan.
Disponible sur Netflix à partir du 14 novembre, "Nouvelle Vague" retrace comment Jean-Luc Godard a défié les conventions cinématographiques pour créer son classique de 1960 "À bout de souffle" et ouvrir la voie au renouveau du cinéma hexagonal.
Il capture l'assurance, le charisme et l'impulsivité avec lesquels Godard a convaincu les producteurs hollywoodiens et la star Jean Seberg d'embarquer sur son premier long-métrage, sans scénario ni calendrier de tournage.
"Il est un peu prétentieux, mais c'est un génie. Une révolution est en cours, mais il est le seul à le savoir", résume Richard Linklater.
Son autre film, "Blue Moon", actuellement en salles, chronique la fin de carrière du parolier de Broadway Lorenz Hart.
Avec le compositeur Richard Rodgers, Hart a conçu des tubes comme "The Lady is a Tramp", "My Funny Valentine", ou encore "Blue Moon".
Le film suit le duo lors d'une fête organisée pour la première de la comédie musicale "Oklahoma!", un succès composé par Rodgers avec un nouveau partenaire créatif. Hart comprend alors qu'il n'est plus en vogue et succombera quelques mois plus tard à son alcoolisme.
"Il devient très clair que les temps le dépassent. Ils délaissent son génie", reprend Richard Linklater.
- "Pas authentique" -
Le réalisateur a ainsi réfléchi à ce qui produit le génie humain et l'art ces derniers temps. Pour lui, l'IA est "juste un outil de plus" à la disposition des artistes, mais elle "n'a pas d'intuitions ni de conscience".
Cette technologie "sera moins révolutionnaire que tout le monde ne le pense dans les prochaines années", promet-il à l'AFP, avant la première de "Nouvelle Vague" à Los Angeles au Festival du film américain français (TAFFF).
Outre des réalisateurs visionnaires comme Jean-Luc Godard et François Truffaut, le mouvement de la Nouvelle Vague et son réalisme documentaire caractéristique ont aussi été portés par une révolution technologique: l'avènement de caméras bon marchés, plus légères pour l'époque.
Mais l'Américain n'imagine pas que les économies de coûts et la flexibilité offertes par l'IA puissent déclencher une révolution cinématographique semblable.
"Vous allez voir des choses cool", concède-t-il. Mais "la chose la plus difficile à faire est toujours de raconter une histoire captivante que les gens veulent voir."
Cette alchimie repose sur de nombreux paramètres, insiste-t-il: C'est le jeu d'acteur, c'est la structure de l'histoire, c'est le rythme, le style. (...) Aucun algorithme ne fera cela. Aucun prompt ne fera cela."
Parmi ses projets en cours, le cinéaste a décidé d'adapter la comédie musicale "Merrily We Roll Along" pour le grand écran. Une histoire racontée à l'envers et se déroulant sur deux décennies, qui chronique la fin d'une amitié entre trois artistes.
Le réalisateur tourne véritablement ce film sur 20 ans, pour permettre aux acteurs de vieillir à l'écran. Un parti pris qui rappelle "Boyhood", son film oscarisé tourné pendant 12 ans.
Face aux possibilités offertes par l'IA, qui a récemment permis de rajeunir Tom Hanks pour le film "Here", sorti l'an dernier, Richard Linklater ne manifeste que du désintérêt.
"Ce n'est pas un truc visuel, vous savez ? Je veux vraiment qu'un acteur d'un certain âge joue un personnage", explique-t-il.
Pour lui, demander à un comédien de 25 ans de jouer un personnage de 45 ans n'est "pas authentique", car les jeunes "ne savent même pas ce que cela signifie".
"Je veux que les acteurs soient vraiment plus âgés et plus sages", insiste-t-il. "C'est ma façon de m'accrocher à l'humanité !"