Emmanuel Macron n'est pas réputé se passionner pour les questions de finances publiques. A plusieurs occasions durant ses deux mandats, il n'a pas hésité à déverser les milliards d'euros de dépenses publiques pour faire face à des crises majeures (« gilets jaunes », Covid, Ukraine). Autant dire que la tenue de deux réunions, coup sur coup, avec les principales figures du gouvernement et de la majorité sur cette thématique, dit bien la gravité de la situation.Mercredi, le chef de l'Etat s'est ainsi réuni avec le ministre des Finances, Bruno Le Maire, le ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave, ainsi qu'avec Christophe Béchu (pour son portefeuille sur les collectivités locales) et Catherine Vautrin (qui a la main sur la sphère sociale). Les mêmes devaient ensuite retrouver les chefs de partis et des groupes parlementaires de la majorité à l'Elysée pour un dîner de travail. « L'objectif est de faire un partage de la situation et du diagnostic », expliquait-on à l'Elysée.Le tableau dépeint n'était pas joyeux. Il y a deux semaines, Bruno Le Maire annonçait un déficit « significativement » supérieur à 5 % du PIB fin 2023, alors qu'il était attendu initialement à 4,9 %. En réalité, les dernières prévisions de l'exécutif tournent autour de 5,6 %, selon des sources gouvernementales. Le chiffre définitif doit être donné par l'Insee mardi prochain.

Indicateurs au rouge

Tous les indicateurs ont viré au rouge. Fin janvier, Bercy a annoncé un déficit pour le seul Etat supérieur de 2 milliards aux attentes. La faute à des rentrées fiscales qui ont chuté brutalement en fin d'année dernière. Du côté de la Sécurité sociale, la tendance n'est pas meilleure, avec là aussi un déficit supérieur de 2 milliards aux objectifs.

Cette dérive des comptes publics en 2023 fait bien sûr très mauvais genre pour le gouvernement, alors que les agences de notation doivent se pencher à nouveau sur la dette française au printemps. La comparaison est cruelle avec l'Espagne, qui a annoncé ce mercredi avoir réduit son déficit de 4,8 % du PIB fin 2022 à 3,7 % fin 2023, soit un niveau meilleur que celui visé (3,9 %).Surtout, elle pose un énorme problème au gouvernement pour la suite. Il y a deux semaines, un membre du gouvernement disait qu'on « verrait fin mars avec les résultats de 2023 si les objectifs budgétaires pour 2024 sont encore tenables ».

L'objectif 2024 caduc

Avec un déficit naviguant autour de 5,6 % en fin d'année dernière, la marche paraît bien trop haute désormais pour atteindre 4,4 % fin 2024. « Sauf à prendre des mesures drastiques, cela paraît compliqué », reconnaît une source gouvernementale. « Il faudra sans doute réviser l'objectif de 4,4 % pour le déficit », concède Mathieu Lefèvre, coordinateur du groupe Renaissance à la commission des Finances à l'Assemblée. Celui-ci plaide toutefois pour « des mesures de ralentissement des dépenses de la sphère sociale en 2024 » afin d'amortir malgré tout les conséquences de ce choc budgétaire. Celles-ci auraient l'avantage de pouvoir être prises par décret.

Au sein de la majorité, il y a en effet peu de personnes pour plaider pour un projet de loi de finances rectificative à l'été, comme il a été envisagé. Dans une interview aux « Echos » mardi, Eric Ciotti a affirmé que LR était prêt à « censurer » la « gestion désastreuse des finances publiques » du gouvernement. De quoi refroidir les dernières ardeurs.

Pour autant, cette dérive des comptes ne remet pas en cause à ce stade la trajectoire budgétaire visée par Emmanuel Macron. « Revenir à un déficit de 3 % du PIB en 2027, c'est non négociable », affirme Mathieu Lefèvre. Les réunions de mercredi devaient notamment servir à lancer le travail pour les économies du budget 2025, que le gouvernement a quantifiées à au moins 20 milliards.

Voix dissonantes sur les impôts

« Il faut réfléchir à la question de la dynamique salariale des collectivités locales, aux indemnités journalières et à l'indemnisation du premier jour d'arrêt maladie, au transport sanitaire ainsi qu'à la trésorerie des opérateurs », affirme Mathieu Lefèvre. Le député Renaissance Marc Ferracci plaide, lui, pour des mesures rabotant dès septembre les aides à l'embauche d'apprentis, particulièrement pour les étudiants du supérieur.Et puis il y a aussi des voix plus dissonantes dans la majorité. Dont celle de Jean-Paul Mattei, le président du groupe Modem à l'Assemblée, qui s'attaque à nouveau au tabou des hausses d'impôts. « Réfléchissons aux économies qu'on peut faire, mais également à de nouvelles recettes qui soient acceptables », explique-t-il. Ces dernières années, celui-ci avait déjà plaidé pour une fiscalité accrue sur les dividendes ou les rachats d'action et il demande une réflexion sur la hausse de la « flat tax ». « On ne peut pas tout demander aux revenus du travail. On doit réfléchir aux revenus du capital sans être excessif », explique-t-il.