Une ferme à étages à moins de deux kilomètres du boulevard périphérique parisien. L'idée pourrait se concrétiser dès l'année prochaine à Romainville, où la mairie vient de lancer un marché de conception-réalisation pour un édifice accueillant 1.500 mètres carrés d'espaces cultivables. Les architectes devraient être retenus avant l'été et les coups de pioche sont prévus pour le début d'année prochaine. Au coeur de la Seine-Saint-Denis comme ailleurs, l'agriculture urbaine est à la mode. Les projets se multiplient, parés de multiples vertus : développement des circuits courts, renforcement du lien social et même création d'emplois. A Romainville, la mini-exploitation en projet pourrait faire vivre deux personnes. Certains vont même plus loin et imaginent que l'agriculture urbaine répondra à la raréfaction des terres agricoles et résoudra les problèmes environnementaux, tout en permettant de nourrir les mégapoles.Cultiver en ville n'a en soi rien de nouveau et l'agriculture urbaine se pratique de longue date dans les capitales de certains pays du Sud aux infrastructures de transport déficientes voire absentes. A Antananarivo (Madagascar), à Vientiane (Laos), à Dakar (Sénégal) ou à Dar es Salam (Tanzanie), « les produits frais et périssables proviennent majoritairement, voire exclusivement, de l'agriculture urbaine », assure Christine Aubry, qui dirige une équipe de chercheurs travaillant sur le sujet à AgroParisTech. Dans les pays développés, l'agriculture urbaine s'est, elle, épanouie ces dernières années pour d'autres raisons, notamment environnementales et qualitatives. « Le retour des jardins ouvriers, sous la forme des jardins partagés, est lié à la sécurité alimentaire mais surtout au souci de consommer frais », estime Marion Guillou, présidente d'Agreenium, institut français de coopération en agro-sciences.

Toits d'immeuble

En Amérique du Nord, des entrepreneurs comme ceux de Brooklyn Grange à New York, ou Mohamed Hage, le charismatique fondateur de Lufa Farm, à Montréal, se sont lancés à l'assaut des toits des immeubles. La culture se pratique sous serre et hors sol sur un substrat comme de la laine de roche, en privilégiant les insectes pour lutter contre les ravageurs et la récupération d'eau de pluie. Ces projets exigent toutefois des investissements très élevés. « Environ 1,5 million d'euros pour 2.000 mètres carrés de serres », estime Christine Aubry.L'agriculture urbaine est même entrée dans le débat des municipales à Paris. Le programme de Nathalie Kosciusko-Morizet prévoyait la création de 30.000 mètres carrés de serres dans le quartier de Bercy, alors qu'Anne Hidalgo veut reconquérir les toits de la capitale. Au terme d'une première étude, la mairie a estimé que 340 hectares étaient disponibles sur les toits parisiens. Mais leur exploitation ne sera pas si simple. Car même sans parler des problèmes juridiques, encore faut-il que le toit soit accessible et que la structure du bâtiment supporte cette charge supplémentaire. A Paris, une deuxième étude a ramené ce chiffre à 80 hectares. « Et encore cette estimation ne tient-elle pas compte de l'intérêt que peuvent avoir les propriétaires des immeubles à privilégier d'autres activités, comme les télécommunications ou les panneaux solaires », insiste Christine Aubry. Pour Xavier Laureau, directeur des Fermes de Gally, les terrains sont si rares et si chers en ville qu'il faudra trouver d'autres solutions foncières, notamment en travaillant à « la reconquête des friches urbaines ou périurbaines.».

Une autre piste peut être la construction de tours ou de bâtiments exclusivement destinés aux activités agricoles. A Romainville, il est prévu d'adosser une structure de plusieurs étages à un bâtiment existant. D'autres vont plus loin, comme le professeur Dickson Despommier, de l'université Columbia à New York, prophète de l'« agriculture verticale », à laquelle il a consacré un livre (« Vertical Farm », 2010) et un blog (www.urbanag.ws). Pour lui, les gratte-ciel agricoles vont devenir indispensables sur une planète qui hébergera 10 milliards d'habitants en 2050, dont 80 % vivront dans des villes.

Fermes urbaines

Une vision contestée par Marion Guillou, qui énumère les objections. Pour elle, sur une planète qui compte 13 milliards d'hectares de terres émergées dont aujourd'hui 4,9 sont dédiés à l'agriculture, la place disponible n'est pas le problème. De plus, en l'état actuel des connaissances, l'agriculture urbaine ne peut concerner que les fruits et légumes, « mais pas les ressources principales nécessaires à l'alimentation humaine que sont le riz, le blé ou encore le maïs », insiste Marion Guillou. Sans parler des objections liées à la consommation d'eau et d'énergie. « Il est heureux que des gens comme Dickson Despommier existent. Il ne faut en revanche pas prendre leur démonstration au pied de la lettre car leur modèle est très spéculatif », résume Christine Aubry.A Singapour, une ferme urbaine, Sky Green, produit depuis 2012 des légumes qui poussent dans des bacs disposés sur un astucieux système de châssis métallique vertical. Le système rotatif permettant tout à la fois d'économiser de l'espace et la consommation d'eau. Au sein de la ville-Etat, qui ne produit que 7 % des légumes consommés sur place, le premier objectif est d'arriver à 10 %.Pour les spécialistes des villes, le concept d'agriculture urbaine a néanmoins de l'avenir. En 2012, dans la revue « Futuribles », le professeur de science politique Gilles Pinson envisageait trois types de scénarios pour des métropoles françaises à l'horizon 2040. Si dans le premier, la « mercapole » n'envisage son approvisionnement qu'à l'échelle mondiale, les deux autres font largement appel à l'agriculture urbaine. Dans le scénario de l'« archipole », la croissance urbaine est très planifiée et les circuits courts, notamment alimentaires, sont favorisés pour réduire la dépendance alimentaire. Dans le troisième, très sombre, l'auteur envisage un désinvestissement et une paupérisation des villes, devenues des « antipoles », dans lesquelles les habitants recourent à l'autoproduction comme moyen de survie.