Le matin, des milliers de membres de son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), entraient dans la capitale, franchissant containers et cordons de policiers et de paramilitaires. Peu après, le gouvernement annonçait quatre morts dans les rangs des paramilitaires --renversés par des manifestants à bord d'un véhicule.
Les contestataires, eux, ont poursuivi leur route toute la journée, répondant aux appels de Bushra Bibi, l'épouse tout juste sortie de prison de l'ancien international de cricket poursuivi dans une centaine d'affaires, retransmis par des haut-parleurs.
Ils veulent atteindre D-Chowk, la place où ils ont déjà tenu des sit-in pour mettre la pression sur le gouvernement. Là, de l'autre côté d'une voie rapide, siège le gouvernement qui recevait mardi en grandes pompes le président bélarusse Alexandre Loukachenko.
"Ceux qui n'ont pas encore rejoint la manifestation doivent se rendre à D-Chowk", peut-on lire sur le compte X d'Imran Khan, 72 ans et en cellule depuis août 2023 après avoir dirigé le gouvernement de 2018 à 2022.
Depuis hier, les autorités ne cessent de répéter qu'elles arrêteront quiconque tentera de s'approcher de cette place. Les manifestants ne l'ont pas atteinte mais en soirée, les ministres de l'Intérieur et de l'Information y tenaient une conférence de presse au ton offensif.
- "Aucune négociation" -
Le premier, Mohsin Naqvi, a assuré qu'il n'y aurait "aucune négociation avec le PTI" car "les intentions des manifestants sont mauvaises".
Ils sont "armés" et "violents", a renchérit le second, Attaullah Tarar, assurant "qu'un lieu pour manifester pacifiquement" avait été proposé aux partisans de Khan.
Mais, accusait-il plus tôt, "ils manifestent toujours pendant les visites internationales".
Imran Khan, lui, assure que ses partisans "pacifiques" subissent des "tirs incessants".
Les manifestants essuient depuis leur entrée dans la capitale au matin des salves de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc de policiers et de paramilitaires, répliquant eux-mêmes par d'autres grenades lacrymogènes, des jets de pierre et de bâtons.
Les autorités, qui ont déployé plus de 20.000 membres des forces de sécurité dans et autour de la capitale, avaient annoncé lundi soir le décès d'un policier hors d'Islamabad, lorsque les manifestants marchaient vers la capitale.
Mercredi, de nouveau, les écoles seront fermées à Islamabad et l'Etat martèle que "le réseau internet mobile et le wi-fi seront coupés" partout où il verra "un danger".
Waqas Akram, député du PTI, a expliqué à l'AFP que le cortège réclamait "la libération de tous les militants et dirigeants du PTI", dont Imran Khan qui rencontre chaque semaine ses lieutenants au parloir.
- "Réponse disproportionnée" -
"Nous défilerons jusqu'à l'obtention de ces exigences", a martelé celui qui avait récemment été présenté à un juge anti-terroriste en vertu d'une nouvelle loi restreignant les rassemblements à Islamabad. Il a dénoncé "la réponse de l'Etat complètement disproportionnée".
Les pro-Khan, eux, disent rester déterminés. Ainsi, Mazhar Karim l'assure: "nous ferons tout ce qu'Imran Khan nous dira".
"Il nous a demandé de venir ici, nous voilà", lance-t-il à l'AFPTV dans le cortège. "S'il nous dit de sacrifier nos vies, nous le ferons".
"Nous resterons là-bas jusqu'à ce qu'Imran Khan soit libéré", renchérit Raïs Khan, 36 ans.
Le chef du gouvernement de la province du Khyber-Pakhtunkhwa, Ali Amin Gandapur, ne cesse pour sa part de narguer les autorités: "vous pouvez nous tirer dessus, nous bombarder et bloquer les routes avec vos containers. Si ça dégénère, vous serez responsables".
Amnesty International a dénoncé des "restrictions sévères au mouvement, au rassemblement et aux télécommunications" et un "usage illégal et excessif de la force", après que Washington a "exhorté" les autorités à "respecter les droits humains", tout en appelant les manifestants à être "pacifiques".
La Commission pakistanaise des droits humains (HRCP), principale ONG de défense des libertés du pays, dénonce des blocages qui "pénalisent notamment les travailleurs journaliers dont le revenu dépend de la liberté de mouvement".
- "Containeristan" -
Dimanche, le cortège du PTI s'était mis en branle depuis les provinces limitrophes de la capitale du cinquième pays le plus peuplé au monde.
Il réclame la libération de son champion comme l'avait fait en juillet un panel d'experts de l'ONU, jugeant sa détention "arbitraire".
Depuis des jours, les autorités avaient sorti les grands moyens, allant jusqu'à susciter l'interrogation.
Dès le début de la semaine, Islamabad avait déclenché l'"article 144", qui interdit tout rassemblement de plus de quatre personnes, pour deux mois. Le Pendjab, où vivent plus de la moitié des Pakistanais, lui a emboîté le pas samedi, pour trois jours.
"Les autorités vivent dans une mentalité de siège - un état dans lequel elles se voient toujours en danger et vivent dans la peur permanente d'être renversées", accuse dans une tribune l'ex-diplomate Maleeha Lodhi.
Quant à Dawn, le quotidien de référence en anglais, il "se demande si la police d'Islamabad se prépare à une guerre": "transformer Islamabad en +Containeristan+, est-ce vraiment nécessaire?".