La lune de miel aura été de courte durée. Le patronat avait accueilli avec une forme de lâche soulagement la nomination de Michel Barnier à Matignon, heureux de ne voir débarquer ni Lucie Castets ni toute personnalité remettant en cause la politique de l'offre et la réforme des retraites. Mais les premières pistes explorées par le Premier ministre en matière de hausses d'impôts pour les entreprises remettent tout ce petit monde sous tension.
Mardi, Patrick Martin a été reçu par Michel Barnier. Le président du Medef lui a redit ce qu'il avait énoncé dans la presse - dans « Le Parisien » et sur Franceinfo - un peu plus tôt : des hausses d'impôts, éventuellement, mais sous conditions. « S'il le faut, exceptionnellement, temporairement, les entreprises pourront apporter leur contribution [au redressement des comptes] mais dans des proportions faibles », avait expliqué le président du Medef à la radio, tout en précisant « un préalable » : « Il faut que l'Etat prenne auparavant des décisions courageuses » sur la baisse des dépenses publiques, et que les éventuelles hausses d'impôts n'entravent pas la croissance.Doigt dans l'engrenage
Face à lui, Michel Barnier a dit sa volonté de travailler étroitement avec les partenaires sociaux et le patronat dans un « cadre contractuel ». Si les deux hommes ont partagé le même constat de la fragilité de l'économie et de la compétitivité française, le Premier ministre a redit que l'urgence était de préserver la signature de la France. Avec donc des choix budgétaires douloureux à faire.
Cette posture de négociations du dirigeant du Medef - ne fermant pas formellement la porte au levier fiscal - a en tout cas agité le landerneau patronal. A la CPME - dont le président François Asselin sera reçu jeudi à Matignon -, on a du mal à comprendre ces sorties médiatiques, perçues comme un doigt glissé dans l'engrenage des hausses d'impôts. « Traiter ce sujet d'une dette devenue abyssale par le biais de la fiscalité, c'est le faire par le petit bout de la lorgnette, ça ne résout pas le problème », estime François Asselin qui appelle avant tout à des mesures de baisse de la dépense publique.Le Medef assume cette façon de faire - loin des affrontements plus frontaux du passé quand on parlait d'impôts - au vu de la crise politique et budgétaire. « Il va falloir être en soutien de ce gouvernement, tout en faisant du 'damage control' sur les mesures d'urgence », décrypte une figure du milieu des affaires.Face aux dossiers déjà mis sur la table, le patronat tente donc de faire le tri. Il y a d'abord les batailles sur lesquelles leurs espoirs de remporter une victoire sont faibles. Le rabotage du crédit impôt recherche (qui devait coûter 7,6 milliards en 2024) paraît inévitable aux yeux de beaucoup de dirigeants. Sur la surtaxe d'impôt sur les sociétés (IS), leur attitude paraît ambivalente, selon certains observateurs. La tendance est à ce que cette mesure ne concerne que les grands groupes. Forcément, la mobilisation est moins forte à la CPME et même au Medef, dont les adhérents sont eux aussi avant tout des PME.En revanche, les barbelés sont déjà dressés face à trois pistes de l'exécutif, tandis qu'un quatrième dossier commence aussi à créer un malaise. Premier sujet d'inquiétude des entreprises, la volonté du gouvernement de revoir le système d'allègement de charges des entreprises, avec un calibrage différent selon les niveaux de salaires et une sortie du dispositif anticipée à 2,5 SMIC pour faire des économies budgétaires supérieures à 4 milliards d'euros. « Dans des secteurs qui ont beaucoup de salariés au SMIC, comme la propreté, les effets sur les marges pourraient être énormes », avertit un dirigeant patronal.Le « dada » de Fournel
Deuxième dossier, le possible relèvement du taux de la « flat tax » sur les revenus du capital - le prélèvement forfaitaire unique (PFU) - de 30 à 33 %. « C'est oublier que beaucoup de dirigeants se rémunèrent en dividendes », regrette un lobbyiste. « Le signal aux investisseurs serait très mauvais », regrette un autre.Un troisième chantier - beaucoup moins médiatique - agite le petit monde des affaires, concernant le pacte Dutreil. Cet avantage fiscal pour la transmission d'entreprises est chéri par tous les entrepreneurs de France, visiblement parfois un peu trop.Certains abus dans son utilisation ont été relevés il y a un an par Jérôme Fournel, alors patron du fisc. Pas de chance pour le patronat, le même Jérôme Fournel est devenu depuis directeur de cabinet du Premier ministre et il a de la suite dans les idées. « C'est son dada », résume une source patronale.
Le dispositif ne serait pas remis en question, mais plus strictement encadré en excluant tous les biens non professionnels (yachts, immobilier locatif, etc.) mais aussi la trésorerie des holdings, ce dernier point suscitant une forte inquiétude. « Le pacte Dutreil est un dispositif très efficace. Le remettre en question cela signifie, à terme moins d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui sont souvent des affaires familiales », avertit Frédéric Coirier coprésident du Meti.Enfin, il y a une dernière bataille que le patronat redoute d'avoir à livrer. Et si le rétablissement de l'ISF revenait par la fenêtre à la faveur du débat budgétaire à l'Assemblée nationale ? Certaines figures du milieu patronal commencent à s'inquiéter d'entendre l'idée d'un « ISF vert » circuler à nouveau, y compris dans les allées du pouvoir. « On sent qu'il n'y a plus de veto total, c'est très déstabilisant », souligne un dirigeant.