L'immigration fait partie des dossiers prioritaires du gouvernement Barnier. Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a prévenu il y a quelques jours qu'il comptait supprimer la circulaire Valls, qui permet depuis 2012 aux préfets de régulariser des personnes sans papiers pour des raisons de vie privée et familiale, ou de travail.

Un an après la loi Darmanin, un nouveau texte sur l'immigration sera présenté au début de l'année 2025, a embrayé dimanche dernier Maud Bregeon, la porte-parole du gouvernement, précisant que deux tiers des régularisations concernaient le regroupement familial. « Bien entendu qu'on a besoin d'une immigration de travail », a-t-elle insisté.

Le sujet est sensible. Et le tour de vis sur les arrivées d'étrangers en France a relancé les débats autour de l'immigration économique.

Discret lors des débats autour de la loi immigration fin 2023, Patrick Martin, le président du Medef, a cette fois été prompt à réagir après les déclarations de Bruno Retailleau affirmant sa volonté de faire baisser l'immigration « par tous les moyens ». « Il faut, dans ce débat, introduire une dimension économique et surtout démographique », a prévenu fin septembre sur Franceinfo le patron de l'organisation patronale, illustrant son propos par un chiffre.

3,9 millions de personnes d'ici à 2050

La France aurait besoin d'une main-d'oeuvre immigrée estimée à 3,9 millions de personnes d'ici à 2050 pour faire face aux défis du vieillissement de la population et des pénuries de salariés dans de nombreux secteurs d'activité. Une position partagée par le président de la CPME, François Asselin, qui dans une interview aux « Echos » estime toutefois que « ce n'est pas aux entreprises de décider la politique qui est menée en la matière ».

Mardi, sur France Inter, Marc Ferracci, le nouveau ministre délégué chargé de l'Industrie, a cherché à rassurer. « L'immigration de travail est une nécessité. Dans l'industrie, on ne sait pas faire sans » , a-t-il martelé.Quelques jours plus tôt, son prédécesseur, Roland Lescure, aujourd'hui vice-président de l'Assemblée nationale, avait donné des chiffres : 1 million d'emplois seraient à pourvoir dans les dix ans à venir dans le secteur, dont « sans doute de 100.000 à 200.000 issus de l'immigration ». « Il ne faut pas nier le problème de l'immigration irrégulière, mais l'Etat ne doit pas envoyer le signal qu'il ferme la porte. Au contraire, si on veut des soudeurs, des chaudronniers, il faut aller plus loin pour faire venir des compétences du monde entier », dit-il aux « Echos ».

Hausse des régularisations pour motif professionnel

En 2023, les immigrés représentaient 10,7 % de la population totale, et une part quasiment aussi importante dans la population active, selon l'Insee. Même si l'immigration de travail n'est que la troisième raison pour venir en France, loin derrière les études et le regroupement familial, des progrès ont été enregistrés pour pourvoir aux besoins de l'économie française.

L'an dernier, sur près de 327.000 titres de séjour délivrés, 54.570 l'ont été pour une raison économique, un chiffre en hausse de 5 % sur un an. Leur nombre a plus que doublé par rapport à 2016 où 23.000 titres de cette catégorie avaient été attribués. « L'immigration de travail a plus augmenté depuis dix ans que dans la plupart des pays européens », observe Jean-Christophe Dumont, expert des migrations internationales à l'OCDE. Face aux difficultés de recrutement, les régularisations pour motif professionnel ont, elles aussi, continué à progresser, en hausse de 5 % en 2023, à 11.400. Le niveau de qualification s'élève lui aussi peu à peu : 17 % des immigrés ont certes au plus un niveau primaire, mais 35 % des bataillons arrivés depuis moins de cinq ans sont diplômés du supérieur. L'immigration étudiante - le premier flux d'immigration avec 108.375 titres de séjour en 2023 - représente un réservoir important de futurs salariés, un titre de travail sur deux étant délivré à un ancien étudiant.

En recul, l'immigration familiale a de son côté motivé 91.000 titres de séjour l'an dernier. « Une partie des étrangers qui arrivent pour un motif familial participe au marché du travail, souvent dans des secteurs qui rencontrent des difficultés de recrutement », souligne Jean-Christophe Dumont. Les immigrés représentent ainsi 39 % des effectifs d'employés de maison, 28 % de ceux d'agents de gardiennage et de sécurité, 27 % des bataillons d'ouvriers non qualifiés du gros oeuvre du bâtiment.

Réactualiser la liste sur les métiers en tension

Pour autant, au deuxième trimestre 2024, plus d'un demi-million d'emplois restaient vacants en France, selon la Dares. Les profils très qualifiés n'échappent pas à la pénurie. Il manque en France 20.000 ingénieurs, mais aussi des informaticiens, des médecins, etc. « On étouffe la croissance en empêchant les entreprises de trouver les salariés dont elles ont besoin », regrette Emmanuelle Auriol, professeure à l'Ecole d'économie de Toulouse, et coauteure d'une note du Conseil d'analyse économique intitulée « L'immigration qualifiée : un visa pour la croissance ».

Pour remédier au manque de bras persistant depuis la crise sanitaire, une réactualisation de la liste des métiers en tension a été prévue par la loi immigration. Elle va être publiée rapidement a promis, mardi sur France 2, Bruno Retailleau, qui oeuvrera sur ce dossier avec le ministère du Travail et de l'Emploi.Le texte a aussi créé à titre exceptionnel une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d'une durée d'un an. « Cela devait permettre la régularisation chaque année d'au moins 1.000 travailleurs sans papiers dans des métiers en tension », rappelle Roland Lescure. Mais « l'exécution de la mesure dépend désormais des préfets. Il faut espérer que des directives claires leur seront données par le gouvernement », dit-il.