Le monde du droit fait partie des professions les plus exposées à l'automatisation. Selon un rapport publié par Goldman Sachs, 44 % des tâches juridiques sont susceptibles d'être réalisées par une intelligence artificielle.

Rien d'étonnant alors si la French Tech s'empare du sujet, avec une multiplication cette dernière année de nouveaux logiciels qui utilisent l'IA générative. Tous abordent la même grande promesse : faciliter la vie des juristes, mais aussi des profanes, dans la réalisation de leurs tâches. Les perspectives sont variées, allant du BtoB avec des entreprises comme Jimini AI, qui a récemment levé 1,9 million d'euros, à des approches plus orientées BtoC, comme IAvocat. A peine lancée, cette application, qui assure avoir synthétisé « l'équivalent des 50 dernières années de jurisprudence », s'attire déjà les foudres du secteur.

Ordalie, de son côté, développe un « ChatGPT du droit », disponible gratuitement pour le grand public et veut démocratiser l'accès aux lois et autres réglementations, sans toutefois chercher à remplacer les juristes, précise la start-up. Son modèle économique, lui, repose sur des offres destinées aux professionnels. Le produit phare de Goodlegal, une toute jeune société, génère quant à lui des fiches d'arrêts - un exercice de résumé de décision de justice très courant chez les étudiants en droit. Le droit est un domaine très adapté pour les IA génératives, avec une donnée textuelle et structurée. Les start-up promettent des moteurs de recherche juridiques, des réponses à des questions de droit, de l'analyse de documents et, pour certaines, de l'aide à la rédaction contractuelle. « Nous sommes dans une phase où il faut identifier les cas d'usages précis, savoir où ces outils sont les plus utiles : quel type de recherche, quel type de matière du droit, quel type d'analyse… cela ne sert à rien d'être trop généraliste », estime Raphaël Arroche, le cofondateur de Jimini AI. Sa start-up, toujours en phase d'expérimentation, travaille directement avec les cabinets d'avocats et les directions juridiques de grandes entreprises. L'autre enjeu majeur pour toutes ces start-up est l'accès aux données juridiques, notamment en ce qui concerne la jurisprudence et la doctrine, sources plus confidentielles que les textes de loi. Toutes ces start-up doivent néanmoins leur existence à l'open data, qui rend progressivement disponible les décisions de justice. Elles n'ont en revanche pas accès aux contenus des éditeurs juridiques privés.Malgré son énorme potentiel, l'IA générative n'est pas encore mobilisable avec fiabilité dans le monde juridique, notamment à cause de données fragmentaires. « Les avocats ne peuvent pas se permettre de générer des erreurs ou de s'entraîner sur des données obsolètes », souligne Louis Larret-Chahine, le cofondateur de Predictice, une start-up qui automatise la recherche de données juridiques. Pourtant sa legaltech née dès 2016, a lancé il y a quelques mois un « assistant » grâce à l'IA générative. La différence réside dans le fait que la start-up fait appel à sa propre base de données, qu'elle constitue depuis sa création. « 800 sources de données, pour environ 25 millions de documents », vante le patron. Un travail de fourmi que doivent réaliser des start-up plus jeunes.

Miser sur les données des cabinets

Toutes ces start-up font aussi appel aux données internes des clients et des cabinets. Mais là aussi, le bât blesse. « L'open data et la data interne sont deux vraies sources, mais il faut un effet de volume. Ensuite, contrairement aux Américains, peu de cabinets ou de directions juridiques français ont fait cet effort de qualifier leurs données. C'est coûteux et cela demande des compétences », remarque Martin Bussy, expert du secteur. « Dans la grande majorité des cas, si la donnée n'est pas structurée, elle est au moins dans un espace de stockage, comme des outils métiers ou un cloud. Nous aidons toujours nos clients dans la phase de cadrage et nous les formons », souligne Louis Larret-Chahine. Son outil rencontre un petit succès : 600 clients revendiqués, pour des revenus annuels récurrents de 2 millions d'euros.Reste le point de crispation de la sécurité, en particulier quand les start-up travaillent avec les données des clients. « C'est la première crainte. Ils ont des enjeux déontologiques et de confidentialité énorme. Ils ne peuvent pas se permettre d'avoir des fuites de données et de dossiers », remarque Léa Fleury, la cofondatrice d'Ordalie, qui cible aussi les TPE et PME. En réponse, l'entrepreneuse mise sur les normes de cybersécurité et des modèles de langages open source, comme le français Mistral AI - à l'instar de Jimini AI ou encore de Goodlegal. La start-up travaille aussi sur ses propres modèles.De gros cabinets développent leurs propres outils en interne, comme l'anglo-saxon Linklaters, très présent à Paris. Fin 2022, les Etats-Unis ont vu naître Harvey, issu de l'union entre le cabinet Allen & Overy et OpenAI, qui a levé au total plus de 100 millions de dollars.