"Booooo (...) Honte à vous", ont lancé en choeur de nombreux étudiants à l'arrivée à la tribune de Claire Shipman, présidente par intérim de l'université privée new-yorkaise, théâtre depuis 18 mois de manifestations de soutien à Gaza, et plus récemment d'arrestations d'étudiants par l'administration Trump.

Avant le début de la cérémonie, une voix grave perce des baffles pour prévenir la foule que l'"interruption" de la cérémonie est "interdite" en ce jour "de réjouissances" et que les personnes ne respectant pas ces règles "pourraient être amenées à quitter les lieux".

Dehors, des centaines de policiers quadrillent le pourtour de l'université face à quelques dizaines de manifestants propalestiniens. A l'intérieur de l'enceinte, des étudiants ont enroulé des keffiehs à leur cou ou troqué la toque des diplômés pour ce foulard devenu symbole de la cause palestinienne.

Sous une pluie fine et un froid humide, la présidente de Columbia lance son discours pour féliciter les 16.000 nouveaux diplômés de la prestigieuse université aujourd'hui dans le viseur de l'administration Trump.

"Nous croyons fermement que nos étudiants internationaux ont les mêmes droits à la liberté d'expression que tous les autres, et qu'ils ne devraient pas être ciblés par le gouvernement pour exercer ce droit", lance-t-elle.

"Et laissez-moi ajouter que je sais que plusieurs personnes sont attristées par l'absence de notre diplômé Mahmoud Khalil", ajoute-t-elle, avant de se lancer dans un plaidoyer en faveur de la défense de la démocratie qui est le "travail essentiel de notre génération".

- Au nom du père - 

La directrice ne cible pas nommément Donald Trump, mais la référence à la défense des "institutions académiques", ces "piliers" d'une "démocratie saine", semble viser le locataire de la Maison Blanche dont l'administration a coupé 400 millions USD d'aides fédérales à Columbia.

Et les autorités américaines ont arrêté à la même période, début mars, Mahmoud Khalil, accusé par le gouvernement d'avoir "mené des activités liées au Hamas", pour l'écrouer dans une prison de Louisiane d'où il risque l'expulsion.

Mercredi, ses avocats ont indiqué que les services frontaliers américains (ICE) n'avaient pas autorisé son épouse, Noor Abdalla, qui s'était rendue par avion en Louisiane, à lui présenter leur fils nouveau-né. "Je voulais que son père puisse enfin le prendre dans ses bras", a-t-elle déclaré, dénonçant un "système cruel et injuste". 

Né en Syrie de parents palestiniens, Mahmoud Khalil, dont les papiers étaient en règle aux Etats-Unis assurent ses avocats, avait été arrêté dans une résidence de l'université Columbia, d'où une partie des huées étudiantes à la cérémonie de mercredi. 

- "Gênée" -

Le monde universitaire avait dénoncé son arrestation et sa détention comme une atteinte à la liberté d'expression. 

"L'université s'est comportée de façon horrible ces dernières années. Je suis chaque jour gênée que mon diplôme soit de cette université", dit à l'AFP Olivia Blythe, 30 ans, diplômée d'un master en travail social, un keffieh au cou tombant sur sa toge bleu pâle.

"Nous avons un étudiant qui est détenu. Et l'université n'a rien fait pour lui", dit-elle, ajoutant que lors d'une cérémonie la veille pour les étudiants de son département, la tension était vive. Parlant du groupe d'étudiants propalestiniens dont elle faisait partie, elle raconte: "Il y avait des parents et des membres des familles qui nous ont dit: fermez votre putain de gueule, arrêtez-les, sortez-les d'ici".

"J'ai été surpris que la présidente Shipman évoque le cas de Mahmoud, mais compte tenu de la façon dont l'université a géré l'affaire, ça sonnait creux", renchérit Alfred Young, fraîchement diplômé de sociologie, qui dit avoir apprécié l'enseignement à Columbia, centré sur la "justice sociale", mais avoir ressenti une déconnexion avec l'administration.

A la fin de la cérémonie, après un dernier mot de la directrice, les étudiants ont respecté la tradition en lançant leur toque vers le ciel, pendant que résonnait la célèbre chanson hip-hop de Jay-Z, "Empire state of mind", une ode à New York, "cette jungle urbaine faite de rêve".

Les accolades fusent entre étudiants. Les selfies aussi. L'année tendue de Columbia est derrière eux. Dehors, en face de l'université, quelques dizaines de manifestants pro-palestiniens tiennent la barre. L'un d'eux tient une pancarte sur laquelle est écrit: "Il n'y a pas de remise de diplômes aujourd'hui à Gaza".