Dans le jargon des start-up, on les nomme les « DNVB » (digital native vertical brands) : les marques nées sur Internet ont pullulé lors de la dernière décennie, synonyme de l'essor spectaculaire de l'e-commerce. Mais, à l'image de Joone, un fabricant de couches-culottes né en 2017, ces marques ne sont plus seulement digitales. En 2022, Joone a fait son entrée dans une centaine de magasins Monoprix, une chaîne prisée des classes moyennes et supérieures. La marque a ensuite été distribuée dans des pharmacies, qui ont des rayons pour les bébés bien fournis. Aujourd'hui, une nouvelle étape est franchie : Joone a signé un accord avec Carrefour, l'un des plus gros distributeurs français. « Nous allons rentrer dans plus de 1.200 magasins », précise Carole Juge-Llewellyn, sa fondatrice.

Faut-il y voir un reniement pour cette start-up qui, au départ, pariait sur un modèle d'abonnement avec de la livraison à domicile ? La dirigeante réfute cette idée et y voit, au contraire, de la complémentarité. « Il y a des personnes qui ont des réticences par rapport à l'abonnement, même si c'est sans engagement », décrypte-t-elle. En liant son destin à Carrefour, Joone va mailler plus largement le territoire français et s'exposer à une clientèle plus diverse socialement. Pour amorcer ce virage, la start-up a ouvert un entrepôt dédié uniquement au retail. Si la mayonnaise prend, elle pourrait, dans le futur, s'exporter plus facilement en dehors des frontières tricolores puisque le groupe dirigé par Alexandre Bompard opère en Espagne, en Italie, au Brésil, etc.

Choix pas toujours gagnant

Aujourd'hui, il est assez fréquent pour les DNVB de vendre via plusieurs canaux. L'illusion selon laquelle tout pouvait être fait en ligne a pris du plomb dans l'aile. Les coûts d'acquisition du marketing digital sont coûteux. Ce qui pose encore plus problème quand les financements dans le secteur se tarissent. Les distributeurs y trouvent aussi leur compte puisqu'ils peuvent proposer des nouvelles marques à leurs clients.

Mais ce genre de partenariat n'est pas une garantie de succès absolue. 900.care, une marque d'hygiène qui vient de lever 21 millions d'euros, en a fait l'expérience chez Monoprix en 2021. « Nous sommes restés un an en magasin, puis nous avons arrêté », confie son cofondateur, Aymeric Grange. Avec le recul, il juge que sa start-up souffrait d'un déficit de notoriété. Il estime en outre que ses produits se prêtaient mal à de la mise en rayon : 900.care commercialise un dentifrice en pastille ou encore un shampoing en forme de bâtonnet qui doit être dissous dans de l'eau par le consommateur.

Née en ligne, Angell, la marque de vélos électriques de Marc Simoncini, avait choisi, peu après sa création, d'être aussi vendue chez FNAC-Darty. Mais la start-up a fait marche arrière et veut maintenant être distribuée dans des boutiques triées sur le volet, où les vendeurs connaissent bien les spécificités de ses engins. Pour élargir leur audience, des DNVB optent pour d'autres stratégies. En 2023, la marque de mode masculine Asphalte a, par exemple, ouvert une boutique dans le Marais à Paris pendant 4 semaines. Son fondateur, William Hauvette, indique que « 20.000 clients » l'ont visitée.

« C'est intéressant d'arriver dans le retail quand on a une marque déjà connue », décrypte Carole Juge-Llewellyn. Joone est déjà suivie par plus de 110.000 personnes sur Instagram. Pour son lancement chez Carrefour, Carole Juge-Llewellyn a prévu un « live shopping » qui sera diffusé, courant juin, sur le site e-commerce de Carrefour. On ne se refait pas.