Pour l'ensemble des cinq victimes, le préjudice total est évalué à plus de 700.000 euros.
Selon l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) qui a mené l'enquête à partir de février 2022, ce type d'escroquerie a pris de l'ampleur depuis une dizaine d'années dans toute la France, avec la montée en puissance du marché de l'art africain.
Au tribunal de Bobigny, sont jugés dix hommes et une femme, camerounais ou franco-camerounais. Sept principalement pour escroquerie en bande organisée, les autres pour blanchiment ou travail dissimulé.
Le premier interrogatoire échoit à Issofa L., le principal prévenu et le seul à arborer une veste. Il se présente en "notable de son village" camerounais arrivé en France en 1992 et ayant toujours exercé comme "marchand d'art africain".
"Je n'ai pas réussi dans les études, je n'avais pas d'autres solutions que de vendre de l'art africain", lâche cet homme de 55 ans, avant d'évoquer la ville camerounaise de Foumbam, sa "cité des arts", et ses artisans réputés pour leur fabrication de pièces imitant des objets anciens.
Lui dit importer du Cameroun comme du Nigeria, et parfois par centaines de kilos, "des statues et masques, de l'artisanat et de l'ancien", puis tenter de les revendre au meilleur prix à des personnes abordées "à la sortie des galeries parisiennes, dans les musées et les brocantes".
Selon le dossier judiciaire, lui et un complice seraient parvenus à faire débourser 98.000 euros à un ancien cadre de Cola-Cola, persuadé qu'il pouvait acquérir des statuettes camerounaises d'une valeur éventuelle de "deux millions d'euros", à condition de financer d'abord l'obtention et l'acheminement des objets et des (faux) documents de la chefferie de Matoun.
Un autre homme avait versé 175.000 euros en croyant acquérir dix objets de grande valeur.
S'il admet les avoir appelés, le marchand assure qu'ils n'ont "jamais acheté" chez lui. Et s'il connaît les autres prévenus, c'est que "tout le monde vient du même village".
- "Marchands, pas experts" -
Durant l'enquête, une experte au musée du Quai Branly a conclu que des objets étaient "issus d'ateliers du Cameroun qui fournissent depuis longtemps des objets faussement anciens".
Alors revient la question: comment ces vendeurs évaluent-ils la limite entre ancien et récent, pièce artisanale et œuvre d'art ?
"Tu sens, en le touchant, si un objet est ancien, mais parfois on peut se tromper, nous sommes marchands, pas experts", rétorque Issofa L., lâchant que "quand le client est intéressé, je lui certifie verbalement que l'objet est ancien..."
Puis il semble donner une leçon de marketing: "Pour vendre un objet, tu ne peux pas dire que c'est une copie ou qu'il ne vaut pas la peine, tu ne vas jamais vendre ! (...) L'art n'a pas de prix. Un objet que je vends 10.000 euros, un autre le vendra 200 parce qu'il a faim".
Il évoque alors une affaire retentissante: des octogénaires avaient vendu 150 euros à un brocanteur un authentique masque sculpté africain rarissime, adjugé ensuite 4,2 millions d'euros aux enchères à Montpellier. La justice avait validé la vente en 2023.
Son avocat, Me Ivan Itzkovitch, entend plaider que "quand on achète ou on vend de l'art, ça arrive tous les jours qu'on fasse de mauvaises affaires".
La victime la plus âgée (décédée) aura versé 257.000 euros en deux ans. Ce multimillionnaire, alors âgé de 90 ans, était "très isolé" et "particulièrement vulnérable du fait d'une déficience psychique", a souligné une juge. Il aurait remis des "chèques sans ordre" à l'un des prévenus, qu'il présentait comme "son seul ami".
Un architecte de 69 ans estime avoir perdu 41.000 euros dans l'affaire.
Joint par l'AFP avant l'audience, il est resté marqué par l'intelligence des "bons truands" très sympathiques qui l'ont promené: "Ils ajustent leurs discours à votre personnalité et connaissent suffisamment l'histoire des arts premiers pour vous donner des gages. Vous partez dans leur délire bien affuté".
Le procès doit durer au moins jusqu'à jeudi.