A la Trinité-sur-Mer, dans le Morbihan, Dimitri Caudrelier et Harold Baseden, les codirigeants de Yellow Impact Sailing, multiplient depuis quelques semaines les rendez-vous avec leur expert-comptable. Le temps presse : ils ambitionnent de faire entrer, dès 2025, leur société de location de voiliers dans le club - encore restreint - des sociétés à mission. A ce jour, seules de 1.700 ont opté pour ce dispositif particulier qui, depuis son introduction par la loi Pacte en 2019, permet d'inscrire des objectifs environnementaux et sociaux dans les statuts mêmes de l'entreprise. Donc, de les rendre contraignants.

Le mouvement s'accélère toutefois. Dans la foulée de la crise sanitaire, le nombre de sociétés à mission - à 80 % des PME et des ETI - a triplé en trois ans.

Hausse du chiffre d'affaires

Pour ses promoteurs, ce statut encore peu connu du grand public qui vise à conjuguer performance environnementale, sociale et économique est un modèle d'avenir. En France, aucune étude ne permet, pour l'instant, de valider cette affirmation. En Italie, en revanche, où le statut de Societa Benefit, juridiquement proche, a été introduit en 2016, le retour d'expérience est pour le moins positif. Selon une étude menée par la banque Intensa Sanpaolo, ces entreprises ont enregistré entre 2019 et 2022 une croissance de leur chiffre d'affaires supérieure de 19 % à leurs homologues traditionnels. Elles ont été deux fois plus nombreuses à déposer des brevets.

Les PME françaises ayant opéré ce choix sont, déjà, convaincues de ces avantages. Emery Jacquillat, connu pour avoir présidé pendant dix ans, et jusque très récemment, la Camif, est formel : donner « une raison d'être » et interroger son modèle a permis de sauver le distributeur historique d'articles de maison et de décoration. En 2014, alors criblée de dettes (100 millions d'euros de passif), l'entreprise des Deux-Sèvres avait été liquidée. Pour la relancer, son président a fait un choix radical : miser à 100 % sur des approvisionnements européens, aux trois quarts tricolores, tout en verdissant son catalogue. Un pari gagnant. La Camif, qui réalise désormais 35 millions de chiffre d'affaires avec 75 salariés, a renoué avec les bénéfices.

Chez Yellow Impact Sailing, la méthode est identique. Plutôt que de changer progressivement la trentaine de bateaux de sa flotte, le loueur a lancé un programme inédit de « refit », de rénovation. Objectif : doubler la durée de vie de ses voiliers, soit vingt années de service supplémentaires. L'intérêt est aussi économique. « Une remise à neuf coûte le quart de l'achat d'un navire neuf. Performances environnementales et économiques ne sont pas antinomiques », indique Dimitri Caudrelier, qui mène en parallèle différentes actions pour démocratiser la pratique de la voile auprès de publics précaires ou en situation de handicap.

Selon le dirigeant, faire passer sa PME (1 million de chiffre d'affaires environ) sous le pavillon des entreprises à mission est donc « naturel ». Le changement de statut n'en sera pas pour autant une formalité. La loi Pacte a suffisamment cadré la mesure pour éviter les effets d'affichage et le « green washing », dont sont parfois suspectées les stratégies RSE. Auditées régulièrement, les entreprises à mission doivent afficher clairement leurs objectifs. Et mettre en place un comité spécial, chargé de rédiger, chaque année, un rapport public, scruté à la loupe par les actionnaires.

L'instance peut être limitée, trois ou quatre personnes dont un représentant - obligatoire - des salariés pour la PME de la Trinité. D'autres choisissent de l'étoffer en y admettant des représentants extérieurs à l'entreprise. C'est le cas de La Belle-Iloise, conserverie de produits de la mer installée à Quiberon, reconnue entreprise à mission depuis 2023. Son comité intègre deux salariés, un médecin nutritionniste, mais aussi un élu local. En l'occurrence, Philippe Le Ray, président de la communauté de communes Auray Quiberon Terre Atlantique.

« L'objectif est d'être challengé sur les actions concrètes déployées pour atteindre les buts affichés. La démarche exige une organisation, mais elle confère de la valeur à l'entreprise en lui permettant de se projeter à long terme », souligne Caroline Hilliet-Lebranchu, patronne de La Belle-Iloise. L'ETI a ainsi commencé un travail pour relocaliser certains de ses ingrédients, comme les huiles ou les condiments, ainsi que pour changer ses méthodes de travail.

« Cette philosophie correspond bien aux attentes des salariés mais aussi des chefs d'entreprise qui s'interrogent, au-delà de leur activité économique, sur leur utilité pour leur écosystème immédiat », notent Lucie Marchandeau et Anne-Eva Poirier, fondatrices à Vannes de l'agence Diatomées, spécialisée dans l'accompagnement des transitions. A l'heure où les entreprises tentent de promouvoir leur marque employeur, le statut « à mission » peut donc servir d'atout de communication, tant en interne que vis-à-vis de son écosystème. A Brest, le groupe Crédit Mutuel Arkéa a d'ailleurs constaté une augmentation de plus de 30 % des candidatures depuis l'adoption du statut, en mai 2022.