Cette adaptation de l'oeuvre de Shakespeare plonge le spectateur dans un grand huit d'émotions : scènes de combats dignes de grands films de guerre, personnages aux airs effarants, tableaux angoissants, mais aussi humour décalé et moments festifs punks.
L'histoire, "qui raconte l'ascension sanguinaire d'un tyran sombrant dans une spirale de folie", trouve "un écho" dans le monde actuel, "tellement dur, violent, absurde", raconte à l'AFP Louis Arene, l'un des deux co-fondateurs de la compagnie, rencontré au Théâtre du Rond-Point, où le spectacle se joue jusqu'au 13 décembre.
"Le théâtre est notre manière d'y répondre", ajoute-t-il, "pour à la fois mettre à distance et ramener de l'humanité là où elle a disparu dans notre quotidien".
Avec son complice Lionel Lingelser, autre co-fondateur et interprète de la troupe, ils signent leur septième spectacle depuis la naissance de la compagnie à Mulhouse en 2012, dont le travail singulier questionne l'humanité à travers des figures de monstres polymorphes.
Sur le plateau de ce "Makbeth" - écrit avec un "k" pour signifier le "pas de côté" assumé par rapport à l'oeuvre originelle, les huit acteurs, lancés à 200 km à l'heure, baignent dans des jets d'hémoglobine, des matières gluantes, le tout dans une ambiance de fumigènes, sons inquiétants, éclairages laser et stroboscopiques.
"On recherche vraiment la catharsis", avec le public, "on a envie de vivre des émotions intenses, puissantes", "d'avoir très très peur et de rire très très fort", décrit Louis.
Le masque est la marque de fabrique de la compagnie. C'est, raconte Lionel Lingelser, "avant tout une histoire d'amour", née d'un travail mené lors de leurs études communes au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris.
Fabriqués par Louis Arene en résine tissée, un matériau pour prothèses orthopédiques, ces masques ressemblent à une seconde peau collée au visage du comédien descendant à hauteur de nez, qui laisse apparaître sa bouche mais recouvre front et chevelure.
- "Imagination" -
"Contrairement à la +commedia dell'arte+, où le masque en soi raconte quelque chose et a une expression très marquée, par la forme des sourcils, le nez, le caractère etc", "on cherche au contraire quelque chose de plus épuré", explique son concepteur, également plasticien.
"Cela permet de gommer tout un tas de spécificités, de genre, de classe sociale, etc". Ainsi "le visage de l'acteur ou de l'actrice devient une surface de projection, un écran, qui fait travailler davantage l'imagination du spectateur", selon lui.
Dans le même temps, cela oblige le comédien à "une présence physique hors-norme", souligne Lionel Lingelser, ancien joueur de basket.
Parmi les inspirations de ces quarantenaires ? Les dramaturges Samuel Beckett et Edward Bond, le cinéma de David Lynch, le peintre Francis Bacon, le metteur en scène Romeo Castellucci, la bande dessinée ou les cartoons.
Ce qui produit cet univers de "grands écarts", avec des personnages entre kitsch, beau et grotesque. Dans "42 sous zéro" (pièce qui associait deux textes du dramaturge argentin Copi, 2019), ceux-ci portent des prothèses en mousse pour figurer poitrines, fesses opulentes, pectoraux saillants, ou bourrelets.
Une patte que l'on retrouve dans "Le Mariage forcé" (2022), mis en scène par Louis Arene, interprété cette fois par cinq membres de la Comédie-Française, et où le grand-écart est poussé jusqu'à l'inversion des rôles, les femmes jouant des hommes et inversement.
"Makbeth", qui poursuit sa tournée en 2026 à Forbach puis Grenoble, s'est vue décerner le Prix de la meilleure création d’éléments scéniques par le syndicat de la critique. "42 sous zéro" avait, elle, reçu deux Molière en 2024, celui de la mise en scène et celui du théâtre public.