Depuis plus d'un an, l'ancien président Evo Morales est en conflit ouvert avec son ancien ministre Luis Arce, à la tête du pays de 11 millions d'habitants depuis 2020.
Bien qu'ils appartiennent tous deux au Mouvement vers le socialisme (MAS), ils se livrent une lutte acharnée pour le pouvoir.
"Nous sommes confrontés à une crise multiple (...) la crise politique, probablement la plus importante, a exacerbé toutes les autres", observe Daniel Valverde, professeur en sciences politiques à l'université Gabriel René Moreno de Santa Cruz.
La rivalité entre l'actuel et l'ancien chef d'Etat, aggravée par un manque de dollars qui entraîne une pénurie de carburants, alimente un climat de contestation généralisée et accentue le discrédit envers les autorités et les institutions.
"Nous n'avons plus de dollars pour économiser. Tout sert au jour le jour", témoigne Margarita Avila devant des piles de produits invendus. "Du jour au lendemain, les prix augmentent. Et comme ils se battent entre eux, ils ne se soucient plus de nous", déplore-t-elle.
"Nos casseroles sont vides", a déploré jeudi Irma Callizaya, une artisane de 62 ans, parmi les milliers de manifestants qui ont défilé dans le centre de La Paz pour exhorter le gouvernement à agir.
C'est dans ce contexte qu'Evo Morales, premier président indigène du pays (2006-2019), cherche a revenir au pouvoir, accusant son successeur Luis Arce de manoeuvrer pour l'évincer de la course à l'élection présidentielle prévue en août 2025.
Début novembre, la Cour constitutionnelle a confirmé l'interdiction pour un président d'exercer plus de deux mandats, semblant mettre un terme à toute possibilité pour Evo Morales de se représenter. Sauf que...
- "Instrumentalisation" -
En 2011, la Bolivie a été le premier pays au monde à organiser des élections populaires pour désigner les juges de ses tribunaux supérieurs, arguant qu'elles seraient plus impartiales. Pourtant, 60% des électeurs votèrent nul, exprimant leur méfiance envers le système.
Au Mexique, un projet de réforme propose d'élire tous les juges par un vote populaire. Ses opposants crient à la menace pour l'indépendance de la justice.
Des élections judiciaires sont prévues en Bolivie le 15 décembre, et une nouvelle composition des juges du Tribunal constitutionnel pourrait aboutir à une revision de l'arrêt interdisant à M. Morales de se présenter au scrutin présidentiel.
Le fait que le Parlement présélectionne les candidats pourrait favoriser des "intérêts partisans", note auprès de l'AFP Gustavo Flores-Macias, chercheur à l'université américaine de Cornell.
"C'est la culture politique bolivienne, dans laquelle les institutions sont subordonnées aux intérêts politiques", souligne Ana Lucia Velasco, politologue spécialisée dans l'étude de la polarisation en Bolivie.
"Ce qui est nouveau, c'est que certaines institutions répondent désormais aux intérêts d'une faction du MAS, tandis que d'autres obéissent à ceux de l'autre partie", ajoute-t-elle.
Selon le classement mondial de l'Etat de droit du World Justice Project, la Bolivie se classe 131e sur 142 pays étudiés en matière d'application des lois.
Autre signe de l'instrumentalisation de la justice bolivienne, les nombreux rebondissements dans l'enquête visant M. Morales pour le viol présumé d'une mineure pendant son mandat.
Après l'annulation d'un premier mandat d'arrêt, un nouveau a été annoncé sans jamais se concrétiser. La semaine dernière, le parquet a affirmé disposer de "nombreux indices", sans pour autant en révéler la nature, promettant une "surprise" à venir...
Pour Daniel Valverde, la manière dont l'affaire est gérée illustre "l'instrumentalisation de la justice". Selon lui, "plus que de le poursuivre ou de l'arrêter, ils cherchent à l'exposer pour renforcer le rejet à son égard. Et ils y parviennent".
L'affaire a toutefois entraîné les partisans de M. Morales, un ancien berger de lamas, a bloquer les principales routes du pays entre octobre et novembre, aggravant encore la crise. L'inflation a grimpé en flèche et la pénurie de carburant s'est amplifiée.