Adoubée par le Premier ministre Robert Fico fin 2023, cette ancienne présentatrice de télévision dit vouloir promouvoir "la culture slovaque" traditionnelle, accusant les élites d'être trop libérales et de "gaspiller l'argent public".

Débarqués sans ménagement, les intéressés se disent victimes d'une purge idéologique à la brutalité sans précédent depuis l'adhésion de la Slovaquie à l'UE en 2004.

L'AFP a recueilli le récit de trois d'entre eux.

- Limogé en robe de chambre -

"La sonnette a retenti à 09H30. Deux hommes imposants se tenaient à l'entrée et, entre eux, une femme que je connaissais du service des ressources humaines", explique Matej Drlicka, l'ancien directeur du Théâtre national, âgé de 48 ans, en se remémorant cette journée d'août 2024 où on est venu lui annoncer sa démission.

En robe de chambre, il se plaint au trio visiblement gêné de ce traitement "indigne". 

Une scène qui a marqué en Slovaquie, faisant de lui un symbole de la politique du gouvernement nationaliste.

Décoré de l'ordre français des Arts et des Lettres, cet ex-clarinettiste de renom, fondateur d'un festival de musique classique, s'est bâti une solide réputation pour avoir stabilisé la situation financière de la principale scène publique d'art dramatique mais aussi d'opéra et de ballet.

Depuis son limogeage, Matej Drlicka est devenu l'une des voix les plus critiques envers la ministre, dont il fustige l'incompétence. "Elle est désormais la risée de tous", lâche-t-il. 

"En un an, elle en a fait autant" que le Premier ministre Viktor Orban en Hongrie pendant dix ans, estime le musicien, dénonçant l'affaiblissement économique du secteur, la censure et l'intimidation des artistes.

- "Autoroute de l'enfer" -

Le ministère a retenu la leçon et a pris des pincettes quand il a congédié Branislav Panis. Cet historien spécialiste de la numismatique a été pendant un quart de siècle un pilier du Musée national slovaque, dont il a assuré la direction entre 2016 et 2024.

"Ses représentants sont venus très poliment dans mon bureau, m'ont remis le décret et nous nous sommes serré la main. Tout s'est passé très rapidement et dans le plus grand respect", raconte-t-il.

Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des mots très durs envers le gouvernement actuel, qui conduit la Slovaquie sur "une autoroute de l'enfer".

Le musée a perdu 3 millions d'euros de financement de l'Etat et 10% de sa masse salariale l'an dernier. Prémices d'un lent déclin et d'une raréfaction des coopérations à l'étranger, craint l'actuel commissaire d'exposition, âgé de 50 ans.

"Je ne dis pas que la culture va mourir mais j'ai peur qu'on régresse au niveau des années 1990", à la sortie de la dictature communiste.

- "Chaos" -

Zuzana Liptakova a le même âge et a subi le même sort. 

Le licenciement, survenu en mars 2024, de celle qui dirigeait la Maison internationale des arts pour enfants de Bratislava (Bibiana) depuis 2022, en a déclenché "une cascade" d'autres, raconte-t-elle.

Le ministère l'a appelée un vendredi soir de mars 2024. Ne réussissant pas à la joindre, il l'a convoquée le lundi via sa secrétaire et l'a mise à la porte "avec effet immédiat" sans raison officielle. 

Pris par surprise, "nous n'avons pas eu le temps de préparer la transition et ça a été le chaos", se souvient-elle.

Elle a été remplacée dès le lendemain par une économiste sans expérience artistique, une annonce qui a provoqué le départ de plusieurs employés en colère.

Cette situation a rejailli négativement sur la réputation de l'institution, regrette Mme Liptakova, avec des partenaires laissés sur le carreau. "Du travail jeté à la poubelle", lâche-t-elle, amère.