En jean et chemise, le jeune Samba Diallo erre sur la scène du théâtre figurant les rues de Paris, "dans son aventure occidentale", sa quête d'ailleurs et de l'altérité, mais souffrant d'un mal du pays et de tiraillements.

Cette adaptation théâtrale puissante a été pour la première fois jouée au niveau national samedi soir au Théâtre Daniel Sorano, devant une salle pleine et des spectateurs debout au salut final, a constaté une journaliste de l'AFP.  

Ce théâtre national et l'association Globe - qui mène depuis 15 ans des projets d'accès à la culture au nord du Sénégal - ont collaboré pour mettre en scène "L'Aventure ambigüe", roman semi-autobiographique de Cheikh Hamidou Kane, publié en 1961, classique de la littérature sénégalaise et africaine, traduit dans une quarantaine de langues. 

Un roman d'apprentissage de la vie, de l'islam, des valeurs du pays des Diallobé (nord du Sénégal), et surtout de rencontre avec l'altérité et l'Occident.

L'écrivain Cheikh Hamidou Kane, 97 ans, est né comme son héros dans le Fouta (nord). 

- "Esprit ouvert" -

Sur scène, l'histoire de Samba prend vie, en français et avec des passages en peul, langue natale de M. Kane.

Pour guider le spectateur à travers cette oeuvre philosophique et poétique, le metteur en scène et comédien français Xavier Simonin, président de Globe, a créé un personnage fantastique de conteur, qui n'est autre que Cheikh Hamidou Kane.

"Ce jeune garçon de culture peule vit comme tout Africain, partagé entre sa culture d'origine et celle de l'Occident: cette aventure ambigüe c'est la nôtre, celle qui nous interroge", lance le conteur.

Né dans une prestigieuse famille du pays des Diallobé, Samba est confié à un maître coranique à sept ans pour suivre une éducation religieuse.  

Avec brio, le comédien Badou Payé interprète cet intransigeant maître, pinçant Samba sur scène quand il butte sur un verset, ou le jetant à terre, suscitant l'émotion des spectateurs, comme dans le roman où Samba est régulièrement violemment battu.

Sur scène, le comédien Mamadou Sylla, lui-même peul, silhouette menue et yeux en amande, a une présence saisissante et a donné vie samedi tout en émotions et gravité au héros.

Son interprétation est poignante lorsque ses parents sont forcés d'accepter la décision des autorités du village de l'envoyer en tant qu'élève brillant à "l'école des colons". 

"Il y a 100 ans, notre grand-père et son élite ont été défaits. Pourquoi? Comment? Il faut aller chez eux apprendre l'art de vaincre sans avoir raison", lance la tante de Samba, interprétée par la charismatique comédienne Ndeye Fatou Cissé.   

"Mais ce que nos enfants y apprendront vaut-il ce qu'ils oublieront?", s'inquiète le chef des Diallobé.

Puis Samba poursuit en France son apprentissage philosophique et identitaire, mais il vit comme une épreuve l'éloignement entre les cultures européenne et africaine.

"Nous autres, étudiants noirs, nous ne savons pas, au moment de partir de chez nous, si nous reviendrons jamais...", lance le comédien au public.

De plus en plus mélancolique, Samba rentre, sur ordre de son père, dans son pays. 

- "Epoustouflant" -

Son maître est mort, et Samba trouve sur son chemin la figure du "fou" du village, un ancien tirailleur sénégalais traumatisé par la guerre en Europe. Il a régulièrement des accès de démence sur scène.

Dans une culmination tragique des tensions, le fou tue Samba, l'accusant de ne plus vouloir ni savoir prier Dieu, lui reprochant aussi de s'être transformé en Occident... 

La douzaine d'acteurs lancent alors en choeur un cri déchirant, le noir se fait sur scène.

Plusieurs centaines de jeunes Sénégalais ont pu assister au spectacle samedi.

"Franchement, c'était époustouflant ! On pouvait reconnaître la culture sénégalaise, les danses, les tenues traditionnelles", a lancé à l'AFP à l'issue de la pièce Awa Diakhoumpa, lycéenne de 15 ans, en joli haut rose. 

Le message du spectacle, "ça peut nous réveiller...", dit-elle. "Parce que chez nous, on peut voir des étudiants noirs qui dès qu'ils ont le diplôme cherchent juste à partir en Occident, mais dès qu'ils vont en Occident certains veulent revenir, parce qu'ils ne voient pas là-bas la culture et le partage qu'ils ont en Afrique".  

L'actrice sénégalaise Rokhaya Niang, venue en spectatrice, se félicite d'un "projet ambitieux" et relève l'universalité du "message de tolérance" de M. Kane. 

"L'appel que je lance c'est qu'on continue à prendre les romans de nos aînés, à en faire des adaptations et à les montrer dans nos écoles, car aujourd'hui les jeunes ne lisent plus... Il faut qu'ils connaissent nos héros".