Fondée en 2000, l'organisation de Mme Tsereteli, Tanadgoma, aide environ 10.000 personnes chaque année dans ce pays du Caucase de moins de quatre millions d'habitants.

Elle fournit des services en santé reproductive, des programmes d'aide psychologique, fait de la prévention contre le VIH, s'occupe de populations vulnérables comme les travailleurs du sexe et les toxicomanes.

"Parfois, ce sont des services qui sauvent la vie", dit modestement Mme Tsereteli, cofondatrice et directrice exécutive de Tanadgoma.

Présente dans cinq villes du pays, son projet compte plus de 70 employés et représente l'un des plus importants dans ce domaine en Géorgie. 

"Si le scénario du pire se produit, on devra décider de continuer à exister ou non, pas de façon abrupte, mais de manière graduelle", explique Mme Tsereteli.

- Lourdes amendes -

Le parti dirigeant, le Rêve Géorgien, accusé de dérive autoritaire prorusse, a fait promulguer cette année une loi sur "l'influence étrangère" vue par ses détracteurs comme un outil juridique pour persécuter des associations n'étant pas dans la ligne du pouvoir.

Son adoption a entraîné des sanctions des Etats-Unis contre Tbilissi et des condamnations de l'UE.

Promulguée début juin, malgré de grandes manifestations de protestation, elle oblige les ONG obtenant plus de 20% de leurs financements hors de Géorgie à s'enregistrer comme entité "poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère".

Pour cet enregistrement, les autorités demandent une grande quantité d'informations aux ONG, notamment des données confidentielles sur leurs bénéficiaires.

Celles refusant de s'y soumettre s’exposent à des amendes répétées pouvant aller jusqu'à 25.000 laris géorgiens (8.400 euros au taux actuel), une somme considérable en Géorgie.

La loi concerne de très nombreuses organisations dans cette ex-république soviétique relativement pauvre et qui dépend beaucoup des fonds venus de l'étranger.

Selon ses critiques, elle s'inspire de la loi russe sur les "agents de l'étranger" qui a été utilisée par le Kremlin pour écraser les voix dissidentes en les soumettant à de lourdes contraintes, sous peine d'amende, d'interdictions, voire de prison.

Le 18 octobre, le Premier ministre géorgien Irakli Kobakhidzé a affirmé que 150 organisations avaient été officiellement enregistrées en vertu de cette nouvelle loi, sur les milliers que comptent le pays.

Le pouvoir, en pleine campagne électorale, n'a toutefois pas commencé à sanctionner les organisations qui ne se soumettent pas à la législation. Ses détracteurs craignent qu'il ne passe à l'action s'il gagne les élections de samedi.

L'opposition pro-européenne, en cas de victoire, veut pour sa part abroger cette loi.

- Rupture de confiance -

Avant même ce volet répressif, la loi a déjà eu de multiples effets, selon Guram Imnadzé, un avocat travaillant pour Social Justice Center, une ONG aidant notamment les victimes de violences policières.

Selon lui, elle dynamite "la confiance" de ses potentiels bénéficiaires en obligeant l'ONG à envoyer au gouvernement des informations personnelles. 

Jugeant cette loi "injuste", l'ONG a refusé de s'enregistrer auprès des autorités. "Qu'on s'enregistre ou non, on ne peut pas faire notre travail", observe cet avocat de 33 ans.

Nino Tsereteli, de l'ONG Tanadgoma, indique que son organisation a été contrainte de faire une demande d'enregistrement, pour des raisons financières.

Depuis, elle dit recevoir de fréquents appels des autorités lui demandant de fournir des documents supplémentaires.

Pour Medea Khmelidzé, qui travaille dans une organisation aidant les femmes victimes du VIH, la loi crée une "stigmatisation" et un grand stress chez les employés des ONG et leurs bénéficiaires.

"Une partie des bénéficiaires, ayant peur de fuites d'informations ou de manipulations, ont arrêté de demander des services", affirme cette femme de 38 ans.

Le parti au pouvoir assure que la législation vise à renforcer "la transparence". Début septembre, l'un de ses responsables, Mamuka Mdinaradzé, a affirmé que les ONG qui refusaient de s'enregistrer cherchaient à "cacher de l'argent".

"C'est ridicule", balaye Medea Khmelidzé. "Ils avaient toutes les informations nécessaires, nous sommes très transparents concernant nos donateurs et leur visibilité", affirme-t-elle.

Selon Mme Khmelidzé, le gouvernement veut "diaboliser" la société civile. Elle souligne que d'autres organisations aidant des populations moins marginales, comme les enfants et les malades du cancer, sont aussi concernées.

Pour l'avocat Guram Imnadzé, la "mise en danger" des ONG et le risque d'amendes fait fuir les donateurs, fuir les bénéficiaires, et pourrait conduire à la ruine de nombreux projets.