Cela fait "cinq ans et cinq jours" précisément, confiait la semaine dernière le jeune homme à la silhouette menue, aujourd'hui âgé de 21 ans, à une délégation française composée notamment d'avocats venus lui rendre visite au centre Orkesh dans le nord-est syrien.
Lui a été incarcéré encore mineur avant d'être enfermé, sans nouvelles ou presque de sa mère et de sa fratrie. Eux sont toujours retenus à Roj, l'un des camps contrôlés comme d'autres centres et prisons par les forces kurdes.
Des dizaines de milliers de personnes, d'une cinquantaine de nationalités et soupçonnées de liens avec l'organisation jihadiste Etat islamique, y sont retenues.
Le rapatriement des quelque 120 enfants et de la cinquantaine de femmes françaises encore retenus reste sensible en France dix ans après la vague d'attentats sur son sol.
"En 2021 et 2023, Iles voit les services de renseignement français, il dit qu'à chaque fois il a cru qu'il allait rentrer, parce que c'est ce qu'on lui a dit", a expliqué lundi lors d'une conférence de presse à Paris l'avocate Amélie Morineau, présidente de la commission Libertés et droits de l'homme du Conseil national des barreaux (CNB).
Comme quatre autres jeunes majeurs, il réitère aujourd'hui sa volonté de revenir.
"Les soldats-enfants en droit international sont des victimes de guerre", a rappelé Me Marie Dosé, indiquant avoir déposé en France le 10 avril auprès du doyen des juges d'instruction à Paris une plainte pour détention arbitraire et traitement inhumain et dégradant.
Devenus majeurs dans les camps ou les prisons du nord-est syrien, "ils vont de peur en peur, de centre en centre puis en prison", enfermés 25 par chambre, 10 heures sur 24, décrit l'avocate.
A la presse, la délégation a montré des vidéos des jeunes hommes, leur visage s'illuminant en lisant des lettres de proches ou en écoutant des messages audio transmis par les avocats.
- "Quelle responsabilité d'un enfant ?" -
En juillet 2023, une rapporteuse spéciale de l'ONU sur la promotion et la protection des droits de l'Homme dans la lutte antiterroriste alertait déjà sur le sort de ces adolescents. Fionnuala Ni Aolain dénonçait comment ils étaient et restent systématiquement séparés de leur mère dans les camps, les dommages irréparables et une "violation des lois internationales".
Lundi, Matthieu Bagard, président du pôle expertise Syrie de l'ONG Avocats sans frontières France, a évoqué "les violences physiques" en détention, "les graves problèmes psychologiques" et la "quasi impossibilité d'avoir accès à des soins".
"Quelle est la responsabilité d'un enfant de six ans ?", interroge l'avocat en présentant le cas d'un adolescent de 16 ans, emmené de force en Syrie quand il en avait six, puis arraché à sa mère à 14 ans. Cette dernière refuse d'être rapatriée. Mais elle a signé un consentement pour que son fils le soit.
Outre cinq jeunes majeurs, trois mères de famille demandent aussi "fermement leur rapatriement" et "réaffirment leur consentement" dans des vidéos enregistrées par la délégation lors de son déplacement, assure Me Morineau.
Au total, ces demandes de rapatriement concernent 23 personnes, dont des mineurs. Les jeunes majeurs et les femmes sont tous visés par un mandat d'arrêt international.
Ces mandats d'arrêt ne peuvent être exécutés que par un Etat. "Or le Kurdistan syrien, sous l'administration duquel se trouve le camp Roj, n'est pas un Etat autonome reconnu, en conséquence de quoi il n'a avec la France aucun accord", explique Me Morineau.
Selon Me Bagard, leur séjour en Syrie est la preuve que les conditions sécuritaires actuelles "n'empêchent pas" les "rapatriements effectués par un très grand nombre d'autres pays", dont l'Allemagne et la Russie. Et ce y compris depuis que les nouvelles autorités islamistes ont renversé le président Bachar al-Assad et pris le pouvoir en décembre.
Pour l'eurodéputé Mounir Satouri, en les laissant en détention, "on se venge" de ce que leurs pères ont pu faire, "et c'est pas tolérable".