Les "Bronzés" ont plié bagage depuis belle lurette: abandonné au début des années 2000 pour cause d'instabilité politique, le club de vacances où a été tournée la célèbre comédie française a bien triste mine. Seuls les dessins naïfs à l'africaine sur l'immense bar ont vaguement résisté au temps et aux embruns.
"Club Assinie Paradis. Interdit au public", prévient un panneau, au pied d'une toiture effondrée.
Ce village fantôme est en fait un trompe l'oeil.
Après les clubs de vacances pour Européens puis la déprime du tourisme pendant la crise politico-militaire (2002-2011), Assinie s'est transformé en station balnéaire haut de gamme, destination préférée de la jet-set ivoirienne.
- Paradisiaque -
"Ici tout était Blanc! Que des touristes européens. Pour trouver la tête d'un Noir, il fallait fouiller", rigole Pierre Aké, habitant d'un hameau voisin, nostalgique de cette "époque bénie" quand "tout le monde avait du travail avec le Club".
Sur la façade atlantique, à 90 km à l'est d'Abidjan et à 20 km du Ghana, Assinie est un village de pêcheurs au charme singulier, chanté en 2010 par la star ivoirienne de reggae Alpha Blondy.
Entre lagune et océan, l'endroit est paradisiaque: une plage de sable fin sur des kilomètres de littoral, mince bande de terre plantée de cocotiers qui cache les eaux douces et calmes d'une paisible lagune.
Le bord de l'eau est une succession de villas cossues, demeures contemporaines luxueuses dissimulées derrière de haut murs, d'imposantes bâtisses en construction et de quelques discrets complexes hôteliers.
Les rares terrains en friche sont gardés, signe de la valeur du mètre carré. Les prix ont été multipliés au moins par trois depuis quinze ans et pour une villa au bord des flots, il n'est pas rare de devoir débourser un million d'euros, somme astronomique pour l'Ivoirien moyen.
Sur les plateformes spécialisées, de somptueuses villas à piscine et larges verrières se louent facilement à 1.000 euros la nuit.
"Assinie, c'est le Saint Tropez de l'Afrique de l'Ouest. Ou Beverly hills, comme vous voulez", lance Maxwell Kouassi, conseiller municipal, reprenant une formule répétée à l'envi.
- Jet ski -
"C'est une zone touristique pour se reposer", vante M. Kouassi. On y vient d'Abidjan, "plutôt les fins de semaine et les jours fériés", pour y savourer une "alchimie parfaite entre luxe décontracté et authenticité préservée", selon les brochures touristiques.
Ces 22 km de lagune sont un condensé de la Côte d'Ivoire des puissants et de la jet-set locale, stars, politiques, et hommes d'affaires.
Les footballeurs ivoirien Didier Drogba et camerounais Samuel Eto'o y ont évidemment leur villa. Le président Alassane Ouattara occupe le week-end une demeure dissimulée derrière une épaisse palmeraie.
Avec sa pirogue sur la lagune, Pierre Aké fait le tour du propriétaire pour l'AFP. Par ici la maison hollywoodienne "du fils d'un ancien président du Mali". Par là, la propriété du président de l'Assemblée nationale. Ici celle d'un ancien président de la fédération ivoirienne de football, ou d'un PDG d'une société de téléphonie mobile.
Les Libanais, très puissants économiquement en Côte d'Ivoire, "sont très nombreux ici". Ils ont délaissé les virées en quads sur la plage, qui "cassaient les oreilles au président" et sont désormais interdites, pour le jet ski sur la lagune.
- "Des milliards!" -
A Assinie, "il y a beaucoup d'argent, des milliards", déplore le piroguier, regrettant que trop peu profite aux villageois locaux.
"Oui, ce sont des gens très riches qui viennent ici", admet le conseiller municipal. Mais il y a aussi "des plus modestes".
Alors qu'une autoroute vient d'être achevée sur une partie du trajet à la sortie d'Abidjan, "Assinie est une zone d'avenir et nous avons de grands projets", poursuit-il.
"Nous avons la mer, la lagune, la nature. Tout cela attire les convoitises. Tout le monde veut sa maison ici", explique Laurent Kouamé Anoh, chef du village d'Assouinde, en bout de lagune. "Certains de nos jeunes travaillent dans les hôtels, quelques-uns dans les villas".
"Avant il y avait des paillotes, des maisons en bambou. Depuis quinze ans, ça construit de partout", constate un employé de l'un de ces hôtels.
"Assinie a beaucoup changé", regrette Jean-Claude, vendeur d'artisanat africain. "Les touristes ont été remplacés par les puissants. Les pauvres comme nous ne les intéressent pas".