Mauvaise passe pour le crowdfunding. Annoncée il y a une dizaine d'années comme une révolution qui allait ringardiser le crédit bancaire, la finance participative n'a pas réussi à faire bouger les lignes. Ses volumes de prêts n'ont jamais menacé la toute-puissance bancaire, et certains acteurs bien connus souffrent.

En février dernier, c'est un des acteurs les plus développés, October, spécialisé dans les prêts aux PME, qui a réduit la voilure, cessant les nouveaux prêts, et cédant sa plateforme IT. « Dans le contexte économique et de taux actuel, il nous est très difficile de maintenir un volume d'origination suffisant pour être financièrement à l'équilibre », écrivait alors la plateforme sur son blog. La longue période de taux faibles (2016-2022) a en effet rendu les prêts bancaires ultra-compétitifs, les porteurs de projet ne voyant alors pas trop leur intérêt à passer par une plateforme de « crowd ».

La désillusion s'installe

Quant à KissKissBankBank, autre figure emblématique mais qui accuse de lourdes pertes, elle pourrait bien sortir à terme du giron de La Banque Postale. En cause, un recentrage stratégique du groupe bancaire public sur ses activités les plus rentables. Mais au-delà des équations financières, une certaine désillusion s'est installée entre les banques et ce type de finance. Dans un premier temps, les banques ont vu dans les plateformes une nouvelle façon de s'adresser aux emprunteurs, plus directe. Car aux yeux de la finance participative, un entrepreneur n'est pas un client qui « cherche un emprunt », mais plutôt un « porteur de projet », avec une vision plus enthousiasmante.

Un langage que les banques se sont approprié… la force de frappe en plus. De même, l'idée que la finance participative donnerait du sens à l'épargne en l'orientant sur des projets responsables s'est elle aussi banalisée, et est largement reprise par les banques. Résultat, pendant la période de taux bas, le rouleau compresseur bancaire a tout emporté, ne laissant que des miettes aux acteurs alternatifs. Les banques sont à présent défiées par des géants mondiaux de la gestion d'actifs via des crédits privés, mais pas par le crowdfunding.

Au total, ce segment reste très confidentiel à l'échelle de la finance, avec à peine 2 milliards d'euros collectés l'an dernier (baromètre Mazars/Financement participatif France), un chiffre en chute de 11,3 %. La crise de l'immobilier n'arrange rien, puisque nombre de plateformes se sont positionnées sur le financement de projets de construction. Le crowdfunding reste malgré tout une vraie bonne intuition, et peut trouver sa place. Le leader du secteur, Ulule, est rentable depuis 2021, explique aux « Echos » son cofondateur et patron, Alexandre Boucherot. « Il n'y a donc pas d'impossibilité à rendre une plateforme rentable. En revanche, oui, l'année 2024 aura été difficile : comme pas mal de secteurs de la tech, le financement participatif n'a pas été épargné par les sujets d'inflation, d'incertitude politique… », poursuit le dirigeant qui insiste sur l'utilité « manifeste » de ces services.

La plateforme agit comme une vitrine pour des créateurs et des entrepreneurs, et répond ainsi à un besoin qui n'est pas strictement financier.