Dans ce dossier aux ramifications internationales, deux Irakiens, six Afghans, ainsi qu'un Soudanais — soupçonné d'avoir piloté le bateau — comparaissent devant le tribunal correctionnel principalement pour homicides involontaires. 

Huit d'entre eux, âgés de 23 à 45 ans, sont apparus dans le box des accusés, écouteurs dans les oreilles pour entendre la traduction de l'audience ouverte par la lecture du nom des 65 naufragés sur la route vers le Royaume-Uni.

La plupart des prévenus sont également poursuivis pour mise en danger d'autrui, aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers ainsi qu'association de malfaiteurs.

Un neuvième homme fait toujours l'objet d'un mandat d'arrêt, tandis qu'un dixième, mineur au moment du drame, est renvoyé devant un tribunal pour enfants.

L'enquête sur ce naufrage, l'un des plus meurtriers survenu depuis l'explosion en 2018 des traversées clandestines de la Manche, a mis au jour "un système organisé et structuré sur les territoires français et allemand" proposant ce passage périlleux, ont écrit dans leur ordonnance de renvoi les deux juges chargées de l'instruction.

Les faits remontent à la nuit du 11 au 12 août 2023, lorsqu'un "small boat" surchargé est mis à l'eau vers 02H00 sur une plage du Nord, près de Calais.

En haute mer, une avarie de moteur survient vers 04H00, le bateau prend l'eau et les passagers afghans, ainsi que les deux pilotes présumés, se retrouvent à la mer: six corps sont repêchés, un autre sera retrouvé plus tard sur une plage des Pays-Bas, tandis qu'une soixantaine de survivants sont pris en charge par les secours maritimes français et britanniques.

- "Panique" -

"C'était la panique", s'est souvenu à la barre le Soudanais Ibrahim A., pilote présumé (ce qu'il nie) et premier prévenu interrogé. 

"Moi je ne savais pas nager, je me suis accroché à la partie émergée du bateau. Je buvais la tasse, je remontais... J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J'ai failli laisser tomber alors que je fuyais la mort", a raconté cet homme qui dit s'être exilé pour échapper aux violences dans son Darfour natal. 

"Votre situation est différente de celle des autres prévenus, vous n'êtes pas considéré comme un passeur. Vous étiez un client et vous avez failli perdre la vie", lui a assuré la présidente, expliquant toutefois qu'il avait participé "à l'échec" de la traversée.

"Vous êtes en train de dire qu'il valait mieux mourir que rester en vie", s'est effondré en larmes Ibrahim A., qui avait débarqué clandestinement sur l'île italienne de Lampedusa quelques jours seulement avant ce drame.

"Il n'est pas un passeur et au contraire le fait qu'on l'accuse de faire partie de ce réseau est une manière pour les autorités judiciaires de criminaliser l'exil", a fustigé auprès de l'AFP son avocat, Me Raphaël Kempf.

Le procès, qui devra déterminer les degrés de responsabilité individuelle des prévenus, doit également interroger les mécanismes des réseaux de passeurs à l'œuvre derrière ces traversées au cœur de tensions régulières entre Paris et Londres.

A la faveur d'une coopération internationale, les enquêteurs ont découvert un réseau "dirigé par la communauté irako-kurde" avec deux branches: la première, avec l'Allemagne pour base arrière, s'occupait de l'aspect logistique, tandis qu'une "filière afghane" était chargée du recrutement des "candidats au passage", selon l'ordonnance de renvoi.

Des organisations qui fonctionnent "sur la base de réseaux sociaux, familiaux et claniques" et vont jusqu'à "l'exercice de violences y compris avec arme et de menaces" pour faire prospérer une activité "particulièrement lucrative", selon le document.

D'après les auditions des rescapés, le passage vers l'Angleterre leur était facturé entre 1.300 et 1.500 euros.

Fin juin, dans un dossier similaire, neuf passeurs, afghans pour la plupart, ont été condamnés à Lille à sept et huit ans d'emprisonnement pour un naufrage dans la Manche qui avait coûté la vie à huit personnes fin 2022.

Le drame le plus meurtrier connu à ce jour sur cette route migratoire, survenu en novembre 2021 avec 27 morts, n'a pas encore fait l'objet d'un procès. 

Celui qui s'est ouvert mardi doit durer jusqu'au 18 novembre.