Attention, révolution ! L'intelligence artificielle générative fait souffler un vent puissant sur les industries culturelles et les start-up tricolores espèrent bien se hisser en haut de l'affiche. Le terreau est fertile. « Nous avons d'énormes talents dans la création et dans l'IA », rappelle Sixte de Vauplane, le patron d'Animaj. Sa société en est l'illustration : elle vient de dévoiler un outil dopé à l'IA dédié aux professionnels de l'animation. Celui-ci permet de sélectionner un personnage de dessin animé, puis d'écrire une courte instruction telle que : « danse de façon énergique pendant trois secondes ». Dans la foulée, le personnage s'exécute avec grâce. Animaj travaille également sur un produit grâce auquel un artiste pourra dessiner un mouvement, puis le générer automatiquement en trois dimensions. Sa sortie est prévue en 2024.

Dans les milieux culturels, l'IA générative est perçue par certains comme une menace. L'irruption de cette technologie a même été l'un des motifs de la grève historique des scénaristes à Hollywood en 2023 ! Mais pour Sixte de Vauplane, c'est au contraire une chance. « Cela va permettre de sublimer le génie créatif des artistes », glisse l'ancien patron de la foodtech Nestor. Il fait le pari que l'IA automatisera les tâches fastidieuses et répétitives, ce qui permettra aux professionnels de se concentrer sur le travail à haute valeur ajoutée (création des personnages et des univers, écriture du scénario, etc.).

Enjeu économique

Au-delà des considérations artistiques, l'enjeu est économique. « Une minute d'un dessin animé de Pixar coûte environ 1,5 million de dollars », remet en perspective Sixte de Vauplane. Le moindre échec commercial peut ainsi déboucher sur une catastrophe industrielle. Le patron est convaincu de pouvoir réduire les coûts de production. Pour débuter, Animaj a choisi de racheter des franchises iconiques (comme Pocoyo) qu'elle développe grâce à l'IA, puis diffuse sur divers canaux de distribution (réseaux sociaux, plateformes de SVOD, etc.). Mais dans le futur, la start-up parisienne espère créer des oeuvres de A à Z.

Animaj, qui a levé une centaine de millions d'euros (dette comprise) depuis sa création en 2022, compte Resonance parmi ses investisseurs. Un fonds qui a aussi participé au tour de table de 2 millions d'euros de Flagcat, un studio de création qui développe un moteur de webtoon (BD numériques). L'industrie du webtoon produit beaucoup de contenus, ce qui provoque souvent des burn-out chez les artistes. « L'enjeu, c'est de les aider, pas de les remplacer », insiste le fondateur, qui est lui-même le scénariste de la première mini-série de Flagcat qui sortirale 29 décembre (« You Shall Be King »). L'IA placera-t-elle la France sur la carte sur ce marché dominé jusqu'à présent par les Asiatiques ? « Nous allons assister à un bouleversement dans la production. Tous les studios vont devoir s'équiper », anticipe Jeff Biart, qui dit vouloir construire un champion européen.

A peine lancé, Flagcat voit arriver sur ses talons un concurrent : Artale. Cette jeune pousse a été fondée en 2023 par Maylis de la Loge, une ancienne de Bpifrance qui s'est associée à Antoine Delplace, un expert de l'IA générative. La start-up a développé deux algorithmes : le premier est axé sur la génération de visuels et est capable de recréer le style d'un artiste à partir d'illustrations, de personnages et de décors. Le second, centré sur la narration, utilise ces éléments visuels et un arc narratif donné pour construire en accéléré des scripts d'épisodes. « Notre logiciel de final cut permet par la suite aux artistes de modifier finement les dialogues et les visuels, offrant un contrôle complet sur la narration finale », précise la patronne, qui espère lever des fonds en 2024 pour développer le projet.

Une expérience plus engageante

Toutes ces start-up ont pour point commun de vouloir répliquer un style cohérent tout au long du processus de création. « Ce qui est loin d'être évident », admet Maylis de la Loge. « Il est extrêmement important d'avoir une base de données propriétaire sur laquelle entraîner ses propres modèles », observe Sixte de Vauplane. En outre, cela permet d'éviter des procès pour viol de la propriété intellectuelle auxquels s'exposent des start-up comme Midjourney ou Stable Diffusion, qui utilise des vastes bases de données.De son côté, Emmanuel de Maistre a fondé Scenario, une plateforme verticalisée qui utilise l'IA générative pour aider les petits studios indépendants ou des géants du jeu vidéo à créer plus facilement des personnages ou des objets. Scenario est né aux Etats-Unis, où vit son dirigeant. Mais « 90 % de l'équipe » est installée en France, précise-t-il. Dans cette industrie, l'IA pourrait aussi faire faire chuter les coûts de production. Mais ce n'est pas le seul intérêt. « L'IA générative va permettre de créer des jeux beaucoup plus engageants », estime Emmanuel de Maistre, dont la start-up a levé 6 millions de dollars en 2023.La promesse pour les « gamers » est d'avoir une expérience personnalisée à l'extrême, voire unique. « 150.000 personnes ont déjà testé notre plateforme », se réjouit le patron, qui se dit bluffé par l'ébullition dans son secteur. Dans les années 1990 et 2000, l'ordinateur et des logiciels ont certes déjà rebattu les cartes dans les industries culturelles. Mais, selon lui, la situation actuelle n'est pas comparable. « La différence avec le passé, c'est la rapidité de la vague », lance-t-il.Les innovations sont si nombreuses que les start-up d'IA sont en permanence sur le qui-vive. Ce n'est sans doute que le début. « A moyen terme, quand tu regarderas une vidéo sur un écran ou que tu joueras à un jeu vidéo, tout le contenu pourrait être créé quasiment en live », prédit Emmanuel de Maistre.