Amazon, PwC, Nike... Les groupes anglo-saxons tapent du poing sur la table pour sommer leurs salariés, devenus accros au télétravail, de revenir au bureau. Les entreprises sortent enfin d'un cycle post-Covid qui les pousse à prendre du recul sur ce travail à distance et, in fine, à s'interroger sur le fond du sujet : l'engagement de leurs salariés.
Scrutant leurs modes de fonctionnement, un nombre croissant d'organisations, y compris françaises, pointent certains effets pervers du télétravail : des problèmes d'intégration (ou « onboarding ») des plus jeunes, des difficultés croissantes de coordination entre équipes, une moindre créativité, un sentiment d'appartenance qui décline et des risques de burn-out chez les managers, en visio du matin au soir. Mais si, sous leurs géographies ou latitudes, les entreprises anglo-saxonnes n'hésitent pas à passer en force pour faire revenir les effectifs au bureau, l'exercice se révèle plus difficile en France.
Du reste, arrêter ou réduire le télétravail d'une façon trop brutale peut être source de démotivation et d'absentéisme des salariés. « La qualité d'un dialogue social, celle d'un accompagnement des managers ainsi qu'une excellente communication constituent trois leviers de négociation autrement plus efficaces. De solides piliers sur lesquels une entreprise doit s'appuyer pour faire évoluer les règles du jeu », estime Jean-Sébastien Blanc, directeur général adjoint chargé des ressources humaines du groupe Engie.L'entreprise se doit aussi de s'interroger. Quelle est sa vocation ? En quoi est-il important de faire évoluer la façon de travailler ? Si une crise ponctuelle ou un nouveau projet stratégique nécessite une présence physique, il importe de bien le faire comprendre aux salariés pour susciter leur adhésion. Point clé : il est évidemment plus facile de gérer à distance des personnes que l'on connaît : les managers en difficulté à distance ont-ils su et pris le temps, à un moment donné, de surinvestir la relation humaine ? L'engagement des salariés nécessite que l'entreprise le cultive.Un délicat équilibre
Autres interrogations : quand les taux d'occupation des bureaux sont de 20 % le vendredi, de 30 % le mercredi et de 120 % les mardi et jeudi, n'est-il pas temps de s'organiser autrement ? Peut-être conviendrait-il d'instituer des chartes d'équipes répartissant les moments de réunion, de concentration, de travail collectif et de convivialité ?Avec le télétravail, tout est affaire de dosage, de solutions concrètes à négocier, d'intelligence collective et surtout de confiance. Seule chose certaine : s'il est question aujourd'hui de revenir au bureau - qui ne doit plus du tout ressembler à celui d'avant le Covid -, il faut vraiment que cela en vaille la peine. Quant à déficeler des accords et chartes de télétravail, ce n'est pas une mince affaire. « Mêmes si les conditions de réversibilité du télétravail doivent être prévues dans l'accord l'instituant, il est rare, en pratique, que ces conditions se matérialisent. Beaucoup d'accords toutefois sont à durée déterminée et vont pouvoir être rediscutés avec les partenaires sociaux », prévient Emilie Meridjen, associée chargée du département droit social chez Sekri Valentin Zerrouk. « De la même façon, dénoncer une charte peut provoquer des remous, même en l'absence d'éléments essentiels dans le contrat de travail. »
Une proportion de 84 % de CEO dans le monde table sur un retour au bureau dans les trois ans (ils n'étaient que 64 % en 2023), selon une toute récente étude mondiale de KPMG. Inquiets des prochains départs à la retraite de salariés et d'un manque de personnel suffisamment qualifié pour les remplacer, 87 % des CEO seraient même disposés à assortir le retour au bureau d'une augmentation de salaire, de primes ou autres avantages.
« Oui, tout cela se prépare et se monnaie. Outre des leviers d'ordre salarial, on peut aussi limiter le télétravail dans le temps, à une délocalisation estivale par exemple », explique Emilie Meridjen, qui rappelle que toucher aux nouveaux modes de vie induits par le télétravail (installation hors des métropoles, etc.) pourrait inciter des salariés à changer d'employeur. Un objectif que peuvent, à dessein, rechercher certaines organisations quand la plupart demeurent dans une optique de fidélisation des talents.Solution pour certaines entreprises, un temps perçue « comme miracle », afin de diminuer les coûts de structure- notamment les charges immobilières - en sortie de crise de Covid, mode de fonctionnement éclaté dans un souci de meilleure productivité et de délocalisations vers des pays où la main-d'oeuvre coûte moins cher pour d'autres, le télétravail - pour la majorité des organisations - se situe aujourd'hui au centred'un délicat équilibre. Entre un souci de contrôle renforcé des activités par les dirigeants et un désir de rendre leur organisation attractive, donc flexible, pour attirer de façon durable les meilleurs éléments, jeunes et moins jeunes.