Les donneurs d'ordre commencent sérieusement à s'inquiéter pour la santé de leurs fournisseurs, et par effet domino, pour la leur. C'est ce qui ressort del'enquête annuelle menée par le Conseil national des achats, l'association de 20.000 responsables achat d'entreprises et par le cabinet de conseil spécialisé AgileBuyer.
Dans ce questionnaire auprès de plus de 800 praticiens de la commande privée et publique, les acheteurs sont 65 % à avancer comme risque numéro un, en 2025, la défaillance d'un fournisseur. Et 42 % évoquent juste après l'explosion des cyberattaques chez les sous-traitants, une autre menace sur la chaîne d'approvisionnement.Olivier Wajnsztok, directeur associé chez AgileBuyer rappelle que le niveau de défaillance a atteint l'an dernier un plus haut depuis quinze ans à 66.422 entreprises françaises, selon les chiffres récents du baromètre BPCE. La disparition d'un sous-traitant peut déstabiliser la structure de coût d'un industriel en le plaçant face à un monopole. Les acheteurs disent à 67 % avoir affronté des situations de monopole l'an dernier, en particulier dans la pharmacie et les cosmétiques, le BTP ou la distribution.
Mais elle peut surtout mettre en danger toute une usine ou la production d'une entreprise. Il suffit dans les assemblages complexes comme dans l'automobile ou l'aéronautique qu'un composant manque pour bloquer les lignes d'assemblages. En septembre dernier, une passe d'armes avait éclaté publiquement entre le motoriste aéronautique Safran et son fournisseur américain Howmet, le premier reprochant au second de bloquer la sortie des moteurs Leap à cause de retards de livraisons d'aubes de réacteur.Doubler ses sources
Ce phénomène était particulièrement aigu pendant la pandémie à cause des ruptures de chaînes logistiques ou à cause des pénuries de matières premières. Les acheteurs craignent de revivre ces perturbations, cette fois à cause de la fragilisation de leurs sous-traitants.Les entreprises lancent du coup des parades. Il peut s'agir de doubler leur source d'approvisionnement, en confiant par exemple 80 % d'un produit à son contact habituel et le reste à un nouveau prestataire. 69 % des responsables comptent mettre en place cette démarche cette année. La sécurisation de ses achats peut aussi passer par un meilleur accompagnement de ses fournisseurs, par exemple via des contrats plus long terme.Autant de bonnes résolutions de début d'année qui percutent néanmoins l'autre objectif des directeurs d'achat, celui des prix. Car 77 % continuent d'en faire leur priorité. C'est particulièrement aigu dans l'automobile, l'immobilier-BTP ou la grande distribution qui sont les secteurs à avoir le plus connu d'inflation depuis trois ans. « Les fournisseurs sont les forces vives de l'entreprise qu'on oublie toujours. Sur 100 euros de chiffre d'affaires, 60 % est effectué chez les sous-traitants pour seulement 30 % chez le donneur d'ordre. Le ratio monte jusqu'à 90 % pour les industries ensemblières comme l'automobile », rappelle Olivier Wajnsztok.Les constructeurs automobiles ont l'injonction de baisser les prix des voitures sous la pression du recul des ventes et face à la menace de concurrents asiatiques dans l'électrique. Mais la chaîne de sous-traitant se retrouve sous pression. L'enquête évoque le risque de la fameuse « méthode Tavares » de chasse aux coûts sur la bonne santé des sous-traitants. Cette dernière a, d'ailleurs, coûté sa place au directeur général de Stellantis.
De son côté Renault est pris dans un bras de fer avec l'Etat et la fonderie de Bretagne car l'unique candidat à la reprise de cet équipementier en grande difficulté réclame au constructeur qu'il garantisse des volumes de commandes à plus d'un an. Une demande exorbitante pour Renault, dans le contexte de fragilisation du marché, mais sans laquelle la fonderie voit sa survie menacée.