Dans ce roman, qui a remporté cette semaine le Booker Prize, équivalent britannique du Goncourt français, l'auteur retrace l'histoire d'un Hongrois issu d'un quartier déshérité qui émigre à Londres. D'abord simple videur, il y gravit l'échelle sociale en partie grâce à une relation avec la femme de son employeur.
L'écrivain de 51 ans - déjà présélectionné pour le Booker en 2016 — s'est forgé une réputation pour ses romans réalistes au style épuré, où reviennent souvent les thèmes de la masculinité et de l'immigration.
Lorsqu'on lui fait remarquer qu'un lecteur s'est dit, dans un commentaire en ligne, dégoûté par la relation de son héros Istvan, alors mineur, avec une femme plus âgée, il sourit.
"Je pense que le premier chapitre, bien que choquant, cru et un peu dégoûtant pour certains, vous fera entrer dans le livre", a-t-il indiqué mercredi à l'AFP. "Il y avait le sentiment que je prenais un certain risque avec le livre, et l'éditeur aussi, je crois, le sentait".
"Flesh" suit l'ascension et la chute d'Istvan, aussi laconique qu'ordinaire, dont la vie sera façonnée par des événements sur lesquels il semble n'avoir aucun contrôle.
"Le personnage central est assez opaque à bien des égards, il ne s'explique pas vraiment aux lecteurs. Donc je n'étais pas tout à fait sûr de la façon dont ils allaient réagir, jusqu'à ce que le livre soit effectivement publié", dit Szalay.
Même le titre, "Flesh" ("Chair", en français), potentiellement évocateur de vulgarité, "mettait les gens légèrement mal à l'aise", dit-il.
Son éditeur allemand a d'ailleurs préféré un titre évoquant un autre aspect du livre, "Ce qui ne peut être dit". C'est "une approche très différente, mais je pense que c'est bien", dit Szalay.
- "Tiraillé" -
Pour le président du jury du Booker, Roddy Doyle, c'est en partie "l'absence de mots" qui fait de "Flesh" un roman "extraordinaire et singulier".
Comme Istvan, Szalay s'exprime avec peu de mots, décrivant simplement son roman comme "l'histoire de la vie d'un individu".
Et comme Istvan, "tiraillé" entre la Hongrie et la Grande-Bretagne, Szalay a été tiraillé entre plusieurs pays: né au Canada, l'auteur a grandi en Grande-Bretagne, vécu en Hongrie -d'où est originaire son père - et vit maintenant en Autriche avec sa famille.
"Je ne me sentirai jamais vraiment chez moi en Hongrie", explique-t-il, ajoutant avoir "perdu contact" avec Londres après avoir déménagé.
"Je voulais écrire un livre qui avait un côté anglais et un côté hongrois, et un personnage qui n'était pas vraiment chez lui ni dans un endroit, ni dans l'autre".
Le récit se déroule sur fond d'entrée de la Hongrie et de ses voisins dans l'Union européenne. Effective en 2004, leur adhésion ouvre les portes de l'Europe de l'Ouest aux ressortissants est-européens en quête d'une nouvelle vie.
Dans un monde post-Brexit, l'ascension d'Istvan en Angleterre n'aurait pas été possible, souligne Szalay. "Toute l'histoire se déroulerait probablement en Allemagne", dit-il en riant.
Dans son livre présélectionné pour le Booker en 2016, "All that Man Is" ("Ce qu'est l'homme", traduit en français), Szalay explorait la masculinité en retraçant les vies souvent solitaires de neuf hommes d'âges différents, dispersés à travers l'Europe.
Avec "Flesh", il traite à nouveau de l'aliénation masculine, dans un texte ponctué de silences inconfortables.
"Bien que le livre soit indéniablement d'une certaine façon sur la masculinité, je ne voudrais pas que ce soit l'aspect central, car je pense qu'il s'agit aussi d'autres choses", explique Szalay.
Il avait précédemment expliqué avoir supprimé les références explicites à la masculinité, afin d'ouvrir le livre à différentes interprétations.
L'auteur, déjà lancé dans l'écriture d'un nouveau livre, estime qu'au final, avoir raté le Booker en 2016 et ses 50.000 livres (plus de 56.000 euros) de récompense l'a préparé à gérer sa victoire cette année.
"Avec le recul, c'était probablement une bénédiction", dit-il.