Le programme de stabilité voté la semaine dernière par l'Assemblée avec difficulté et qui fixe la trajectoire économique jusqu'à 2017 repose-t-il sur des hypothèses crédibles ? « Oui », a répondu le Haut Conseil des finances publiques, cet organisme indépendant chargé de juger les prévisions économiques de l'exécutif, qui le juge toutefois « optimiste », singulièrement en ce qui concerne les années 2016 et 2017. La majorité des économistes partagent ce point de vue et alertent sur plusieurs risques importants. Alors que François Hollande estimait ce week end dans le « Journal du dimanche » que « le retournement économique arrive », passage en revue des points qui font débat :
L'investissement
« Le rétablissement des conditions de la confiance favoriserait une reprise de l'investissement des entreprises », qui devrait grimper de 5,2 % en 2015, selon le programme de stabilité. Pour Jean-François Ouvrard, de COE-Rexecode, « il serait logique que l'investissement des entreprises reparte. Mais pour y parvenir, il faut clarifier la fiscalité des entreprises, assurer du maintien de dispositifs tels que le crédit impôt recherche (CIR)... Ce n'est pas encore le cas. Or, l'instabilité fiscale est un frein à la décision d'investir », souligne l'économiste. D'autres experts se montrent plus optimistes. « L'investissement des entreprises est fortement cyclique. Il a beaucoup chuté avec la crise et peut tout à fait rebondir fortement en phase de reprise. Entre 1998 et 2000, il avait progressé de 7 % par an moyenne », rappelle Fabrice Montagné, de Barclays.L'emploi
Le gouvernement prévoit que les différentes mesures d'allégements de charges sociales sur les entreprises permettront la création de 40.000 emplois en 2015, 120.000 en 2016 et 190.000 en 2017. Pourtant, le mois dernier, le taux d'utilisation des capacités de production des entreprises françaises restait, à 85,8 %, inférieur à sa moyenne de long terme, qui s'élève à 88,9 %. Les industriels peuvent donc produire plus sans embaucher. Ensuite, « le gouvernement suppose que sa politique de l'offre, c'est-à-dire de réduction des charges pesant sur les entreprises, a un impact fort et rapide sur l'activité alors que les marges des entreprises sont au plus bas depuis près de vingt-cinq ans. Le délai d'amélioration risque en fait d'être plus long », estime Jean-Baptiste Pethe, d'Exane-BNP Paribas.La consommation
Les créations d'emplois sont censées faire revenir la confiance des ménages et ainsi les inciter à consommer. La consommation des ménages augmenterait de 1,6 % en 2015 et « serait stimulée par le retour de gains de pouvoir d'achat liés aux créations d'emplois et aux mesures du pacte de responsabilité et de solidarité. Une baisse graduelle du taux d'épargne est en outre à attendre », selon le scénario le gouvernement. Pour Jean-François Ouvrard, « il est difficile de parier sur un recul important du taux d'épargne en période de fort taux de chômage. La reprise de la consommation dépendra avant tout de l'amélioration de la situation de l'emploi ».Les recettes fiscales
Pour arriver à un déficit public à 3 % du PIB, le gouvernement s'attend à ce que 1 point de PIB supplémentaire entraîne une hausse de 0,9 point de recettes en plus pour l'Etat en 2014 et de 1 point à partir de 2015. Or, l'élasticité des rentrées fiscales à la croissance n'a été que de 0,2 en 2013. « En 2014, il n'y pas de raison pour que l'élasticité des recettes fiscales augmente. Elle sera probablement proche de 0,2 cette année et atteindra 0,7 en 2015, ce qui pourrait se traduire par un déficit public supérieur aux anticipations, de l'ordre de 3,3 % du PIB l'an prochain », estime Jean-Baptiste Pethe, économiste chez Exane-BNP Paribas. Ensuite, l'exécutif table sur un recul de près de 7 % des investissements des collectivités locales en 2015, suite aux élections régionales, événement qui entraîne habituellement un gel temporaire des projets. Pas sûr que les régions se montrent si économes... L'inflation
La faiblesse de l'inflation rend difficile la réduction des déficits publics. « En cas d'inflation plus faible que prévu, alors les recettes de la TVA par exemple seront moindres qu'anticipé », souligne Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode. Le gouvernement en a fait l'amère expérience l'an passé. En France, les prix n'ont augmenté que de 0,6 % en mars sur douze mois. Et le gouvernement voit pourtant l'inflation atteindre 1,1 % cette année puis 1,5 % en 2015 et 1,7 % en 2016. « Si l'euro reste accroché à son cours de 1,40 dollar et si le prix des matières premières n'augmente pas, alors il n'y aura pas d'inflation importée », remarque Denis Ferrand. Pour Jean-Baptiste Pethe, « l'inflation risque d'être durablement faible, c'est-à-dire comprise entre 1 et 1,5 % ». Ce qui risquerait de compliquer sérieusement la donne.La croissance
« A première vue, le gouvernement a retenu la même hypothèse de croissance que celle de la Commission européenne, soit 1,7 % en 2015. Sauf que Bruxelles arrive à ce résultat avec un déficit public de 3,9 % du PIB, qui ne prend pas en compte le pacte de responsabilité. Or, les économies de dépenses publiques auront fatalement des effets récessifs à court terme », note Benoît Heitz, économiste à la Société Générale. « Sur les années 2016 et 2017, le gouvernement anticipe une vraie reprise puisqu'avec 2,25 % de croissance, le rythme sera supérieur à celui de long terme. Cela me paraît optimiste car l'ajustement budgétaire ne sera pas encore fini dans deux ans. Ni en France ni chez nos voisins », ajoute-t-il. « Le scénario qui me semble le plus probable est celui d'une croissance durablement molle, c'est-à-dire en dessous de 2 %. »Le gouvernement a-t-il mis ses lunettes roses pour lire la conjoncture économique ? Peut-être pèche-t-il par un léger optimisme mais, comme le dit Fabrice Montagné, il est possible que les économistes aient, eux, un biais pessimiste. « Quand l'activité est en bas de cycle, les économistes ont toujours du mal à être optimistes », selon le spécialiste de Barclays. Et « échafauder un programme de stabilité est un exercice difficile. Le gouvernement ne peut pas non plus prévoir le pire pour prendre ses décisions sans quoi il opterait pour une politique budgétaire trop austère », explique Jean-Baptiste Pethe.