La Côte d'Ivoire, où se tient une élection présidentielle le 25 octobre, est connue pour être une terre de transit pour de nombreux ressortissants de toute l'Afrique de l'Ouest qui rêvent d'une vie meilleure en Europe.  

Si la question de l'émigration n'est pas une thématique centrale des programmes des candidats à la présidentielle, tous promettent des mesures économiques visant à créer davantage d'emplois et de formations pour la jeunesse. 

Daloa, ville de 400.000 habitants nichée au centre du pays, est un point de départ bien connu dans la région. C'est là aussi que beaucoup de ceux qui ont échoué, qu'on appelle "retournés" ou péjorativement "maudits", se retrouvent pour redémarrer une nouvelle vie.

A 38 ans, Marie Godo présente à l'AFP des produits cosmétiques qu'elle fabrique, un business qui lui a permis récemment de déménager d'un studio à un logement plus grand, avec son fils unique.

Aidée par l'ONG italienne AVSI pour lancer ce commerce, elle affirme que cette activité a changé sa vie après douze années éprouvantes en Tunisie, où elle a été confrontée au racisme et a vécu de petits boulots. 

"Je suis revenue transformée. J'étais déçue de moi-même, j'ai préféré venir ici suivre une amie que de rentrer dans ma famille", plus au sud, explique-t-elle. 

Pour beaucoup de personnes qui cherchent à émigrer, la famille se cotise parfois à hauteur de plusieurs milliers d'euros et attend un retour sur investissement. Et l'échec est souvent stigmatisé. 

"J'ai vu des familles mettre leurs plantations en garantie pour financer un départ. Faire partir quelqu'un c'est une forme de placement social, pas seulement financier. Quand on reçoit de l'argent d'un proche qui est parti, le regard de toute la communauté change", explique Lassiné Bamba, représentant d'AVSI en Côte d'Ivoire et docteur en sociologie.

Toujours à Daloa, Mohamed Badini, la vingtaine, raconte lui aussi son départ, en 2016, lorsqu'adolescent il est inspiré par des "camarades" qui avaient tenté leur chance.

- Emploi formel -

Après des années de galère au Maghreb et d'échecs pour rejoindre l'Europe, il s'est résigné à rentrer via un programme de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Désormais à la tête d'un petit salon de coiffure, il n'envisage pas de repartir, "trop dangereux", selon lui. "Ici, je sais que je peux réussir, ma situation s'est améliorée, jure-t-il.

A l'image de la Côte d'Ivoire, dont la croissance est l'une des plus dynamiques d'Afrique de l'Ouest, la région de Daloa s'est développée ces dernières années mais reste encore trop peu industrialisée pour fournir assez d'emplois, notamment dans le secteur formel.

L'OIM indique avoir accompagné depuis 2017 plus de 18.000 migrants de retour en Côte d'Ivoire, dont 92% affirment être partis pour des motifs économiques. Et si le taux d'emploi dans l'informel des "retournés" a diminué, il reste très élevé, au-delà de 85%. 

Or, selon Lassiné Bamba, la réintégration par l'emploi formel est capitale: "L'accès à un compte bancaire, une cotisation retraite, une mutuelle santé, ce sont des éléments de stabilisation psychologique".

Le gouvernement ivoirien a lancé l'an dernier un programme de "réintégration des migrants ivoiriens de retour par l’entrepreneuriat" qui accompagne 200 ex-migrants. Et l'Office français de l’immigration et de l’intégration a récemment ouvert un bureau à Abidjan, pour encourager la réinsertion et inspirer d'autres candidats au retour volontaire.

A Daloa, Claude Tanoh, lui-même passé par une expérience difficile au Maghreb, est aujourd'hui à la tête de l'ONG Diaspora qui sensibilise des candidats au départ. 

"On essaie d'expliquer que le rêve est permis, mais que même chez nous ici, on peut s'en sortir", souligne-t-il.  

"On ne décourage pas les gens de partir, mais on leur dit d'être préparés et de passer par la voie légale. Ca m'a tellement coûté d'être partie sans informations", abonde Marie Godo, elle aussi membre de l'ONG.

Tous n'ont toutefois pas la chance d'avoir ouvert un business fructueux. Certains, comme Abou Dosso, mécanicien dans un petit garage, vivent avec moins de deux euros par jour. D'autres se sont lancés dans l'orpaillage illégal ou essaient de réunir de l'argent pour retenter leur chance. 

"Qu'est ce qui incite à repartir? La honte d'être retour au point de départ, l'ignorance et l'inactivité", résume Claude Tanoh.

"Moi si je peux partir, je pars! Ceux qui sont revenus c'est juste qu'ils n'ont pas eu de chance", conclut un jeune collègue d'Abou Dosso.