« Nos adhérents paniquent », explique d'emblée Philippe Mangin, le président de la fédération de coopératives agricoles Coop de France. « Nous sommes les otages de la guerre que se livrent les enseignes entre elles. Et cette guerre met désormais en péril les entreprises du secteur agroalimentaire. »
Moins de trois mois après la conclusion des négociations commerciales 2014, fin février, les fournisseurs de produits de grande consommation (PGC) ont été de nouveau convoqués par la grande distribution afin de revoir encore leurs prix à la baisse. « Je n'avais jamais vu cela auparavant », affirme Jérôme Foucault, vice-président de l'Association nationale des industries agroalimentaires (Ania). D'ordinaire, ces renégociations n'interviennent pas avant septembre.La filière vinicole a été la première sur la liste avant d'être suivie par le reste des fournisseurs, grandes marques comme PME. D'où la décision des filières agricole et agroalimentaire de tirer la sonnette d'alarme. « Les menaces de retirer certains produits de leurs rayons se multiplient et les sommes demandées sont astronomiques, pouvant atteindre jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel réalisé avec l'enseigne ! » ont alerté mardi dans une lettre commune à Manuel Valls, l'Ania, la FNSEA et Coop de France. L'institut IRI a mesuré ce durcissement des négociations. « D'habitude, pendant les négos, les prix restent stables. Cette année, ils ont baissé en décembre, en janvier, puis en février », note Jacques Dupré, directeur insights. Et la déflation s'est accentuée en mars, avril et mai.L'environnement économique morose, la lutte au couteau engagée entre enseignes ou l'évolution des modes de consommation (voir ci-dessous) avaient déjà entraîné une chute des prix des grandes marques d'environ 3 % l'an dernier, selon Nielsen.
Cercle vicieux
Aujourd'hui, pour les acteurs de la filière alimentaire, le constat est simple : « On est clairement dans un environnement déflationniste », estime Jérôme Foucault. Une tendance nette qui va mettre industriels et enseignes en grande difficulté. En 2013, plus de 300 sites ont mis la clef sous la porte dans l'agroalimentaire et 6.425 emplois ont été perdus. « 2014 sera encore pire », estime Jérôme Foucault.Du côté de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), on nie que les négociations commerciales aient été plus dures que les précédentes. Mais les dirigeants des enseignes commencent à craindre eux aussi le cercle vicieux de la déflation. Depuis plusieurs mois, Serge Papin, le président de Système U, crie à la sauvegarde des PME françaises de l'agroalimentaire. « La sagesse serait de signer un pacte alimentaire entre les industriels et les distributeurs sous l'égide de l'Etat », affirme-t-il aujourd'hui. Michel-Edouard Leclerc y voit lui un effet de cycle dont on sortira par une évolution de l'assortiment en phase avec l'exigence de qualité des consommateurs. De fait, si les boissons sans alcool et l'hygiène-beauté ont souffert en avril, selon Nielsen, les produits frais progressent encore. Chez IRI, on explique qu'au cours des quatre premiers mois de 2014, le chiffre d'affaires des PGC en hypers et supers a tout de même progressé de 1,6 %, malgré une déflation de 0,8 %.Sauve-qui-peut général
Mais, note Jacques Dupré, « pour la première fois encore, la baisse des prix n'entraîne pas une hausse des volumes ». Conséquence : c'est le sauve-qui-peut général pour préserver ses parts de marché. A ce petit jeu, les Leclerc, Intermarché et Système U ont longtemps gagné en prenant sur leurs propres marges. Mais les propriétaires de magasins commencent à tirer la langue. Dans les groupes, l'heure est aux plans d'économies, le hard-discounter DIA est à vendre, Auchan a lancé un plan social. La grande distribution n'est plus un secteur créateur d'emplois : de 2009 à 2012, le secteur a perdu 24.000 postes, soit 4 % de ses effectifs.