Des granulés de plastique cheminent dans de longs tuyaux traversant l'atelier, avant d'être dirigés vers une seringue chauffante, puis moulés et refroidis. Quelques mètres plus loin, des pièces métalliques tournent dans un bol de distribution. Elles sont ensuite saisies par un robot qui les fixe au support plastique, et sortent directement conditionnées dans des cartons. C'est ainsi que Legrand fabrique ses prises et ses interrupteurs en France : dans l'usine du Magré, à Limoges, l'automatisation s'est accélérée ces dernières années. « L'atelier travaille en flux tendus. Le minimum de composants est produit à l'avance. Nous avons fait des progrès pour réduire la consommation de matière et raccourcir les temps de cycle », explique Eric Labrèze, directeur des opérations appareillage en France. C'est grâce à ce travail d'automatisation et de mise en place du « lean manufacturing » que les usines françaises de Legrand ont encaissé la crise. En France, comme en Italie, les deux grands marchés du fabricant, la demande a chuté de plus de 20 % par rapport à son sommet il y a cinq ans. La construction de logements neufs est au plus bas, les rénovations se font plus rares... Tout ceci a mis à l'épreuve les implantations industrielles du groupe limougeaud.Les effectifs français ont accusé le coup. En dix ans, le nombre de salariés est passé de 9.045 à 6.035 personnes en France. Une érosion de 30 % qui s'est faite sans plan social majeur ni fermetures d'usines retentissantes, à l'exception de quelques regroupements de sites. « Il n'y a pas eu de licenciements économiques, mais de nombreuses personnes partent à un ou deux ans de la retraite avec un chèque. La moyenne d'âge est élevée dans le Limousin », indique Olivier Ten, délégué CGT à Limoges. Dans le même temps, le groupe a recruté au compte-goutte, la rigueur a été de mise lors des négociations salariales. Il y a bien eu quelques délocalisations, comme les écovariateurs confiés à la Tunisie, mais sur des produits plutôt à la marge.

Standards régionaux

A quoi tient cette résistance des usines ? Premier facteur, « la forte automatisation rend très faible la part de la main-d'oeuvre dans le coût de fabrication sur certains produits », note Michel Robert, de la CFDT. L'autre raison, c'est que Legrand cherche à avoir une forte adéquation entre le site de production et le lieu de vente, que ce soit en Europe, en Amérique ou en Asie. Ce qui limite l'impact des taux de change dans les comptes. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre en compétitivité par des frais de transport ou des délais de livraison élevés. Nous gardons donc en France la majeure partie des produits à destination du marché français ou des pays proches », indique Antoine Burel, directeur financier. Cette adéquation s'explique aussi par la multiplicité des standards régionaux, ce qui justifie d'avoir des lignes d'assemblage locales.Autre levier de compétitivité : le groupe a lancé en 2008 une stratégie de plates-formes sur le modèle de l'automobile. De la même façon que deux voitures au design différent peuvent avoir les mêmes organes mécaniques, les prises et les interrupteurs de Legrand partagent de plus en plus le même moteur, selon une logique régionale. « Notre objectif est de passer progressivement de 30 à 11 plates-formes. Nous avons fait 60 % du chemin », explique Patrice Soudan, directeur général adjoint, responsable des opérations mondiales. Enfin, les usines ont accompagné le travail de Legrand sur la montée en gamme de la marque, un rempart contre les produits à bas coûts (lire ci-contre). Le site de Magré, par exemple, a investi près de 1,5 million dans un atelier de peinture, qui lui évite de sous-traiter la teinte de ses interrupteurs, l'une des grandes évolutions de la gamme depuis dix ans. Un moyen de gagner en réactivité vis-à-vis des clients.