C'est tout vu pour Jean Mallavergne, un chef d'entreprise de Saint-Avold, en Moselle. Si le bilan le permet, ce sera une prime Macron, aujourd'hui baptisée « prime de partage de la valeur » (PPV). « J'emploie principalement des jeunes, qui sont plus réceptifs à une prime ; c'est un coup de pouce immédiat à leur pouvoir d'achat », explique le gérant de MO Groupe (2,5 millions d'euros de chiffre d'affaires), qui emploie une vingtaine de salariés dans ses trois boutiques d'optique.

A dire vrai, Jean Mallavergne ne s'est pas trop attardé sur les dispositions de la loi qui vient d'être votée sur le partage de la valeur. Applicable sur cinq ans à titre expérimental, elle impose aux petits patrons comme lui, dont la société affiche un bénéfice net d'au moins 1 % de leur chiffre d'affaires pendant trois années de suite, de mettre en place, d'ici au 1er janvier 2025, un mécanisme de redistribution des profits. Au choix : la prime, la participation et l'intéressement, fondé sur les performances collectives. Jusqu'à présent, la mise en place d'un système de participation n'était imposée aux entreprises en bénéfice, selon une formule légale, qu'à partir de 50 salariés.

La nouvelle loi, qui transpose l'accord national interprofessionnel signé début 2023 par les partenaires sociaux, dans un contexte de forte inflation, cible les PME dont les effectifs sont compris entre 11 et 49 personnes. Elles sont entre 150.000 et 170.000, selon les estimations ; quelque 1,5 million de salariés sont potentiellement concernés.

En 2020, moins de 20 % d'entre eux bénéficiaient d'un dispositif de redistribution, contre 88,5 % de ceux travaillant dans une entreprise de plus de 1.000 personnes, selon la direction statistique du ministère du Travail (Dares). 

Reste à savoir si le nouveau texte provoquera l'élan souhaité par le gouvernement en matière d'épargne salariale. « Pour l'entreprise, le versement d'une prime de partage de la valeur suffit à remplir son obligation, souligne Frédéric Broud, associé du cabinet Racine Avocats. Pas de montant minimum, pas de sanction : autant dire que ce n'est pas très contraignant. » Depuis plusieurs mois, les promoteurs de l'épargne salariale alertent sur un risque de cannibalisation, quand bien même la PPV peut alimenter un plan d'épargne salariale. « En pérennisant la prime, avec ses exonérations sociales et fiscales pour les petites entreprises, on s'est mis un caillou dans la chaussure », analyse François Perret, ambassadeur au partage de la valeur auprès du gouvernement.

« Si les PME ont le choix entre un dispositif peu cher, très souple et facile à mettre en place, comme la PPV, et un autre tel que la participation ou l'intéressement, qui nécessite une réflexion plus approfondie et un dialogue social plus soutenu, elles se tourneront vers le plus simple », regrette-t-il.Toutes entreprises confondues, la prime Macron aurait pesé près de 9 milliards d'euros en 2022, selon ses projections, contre un peu plus de 5 milliards pour la participation et de 6 pour l'intéressement, soit plus de 80 % des montants distribués au titre du partage des profits.Les petites entreprises ont une culture financière insuffisante pour se lancer dans la participation ou l'intéressement, avertit François Perret. Dans ces conditions, pour garantir la bonne exécution de la loi, il réclame la mise en place d'un dispositif d'accompagnement qui pourrait notamment s'appuyer sur le réseau national des experts-comptables. Il ira prochainement plaider à Bercy pour un pilotage public interministériel. Mais n'exclut pas de lancer une initiative privée, avec Agnès Bricard, ambassadrice à la participation et à l'intéressement.Les gestionnaires d'épargne salariale sont dans les starting-blocks. « Nous allons militer pour que les entreprises se fassent accompagner par des conseillers qui vont pouvoir mettre en concordance la performance de l'entreprise et les packages de rémunération », confie Marie-Noëlle Auclair, chez Eres.

Faire progresser l'entreprise

Generali, revenu sur le marché il y a deux ans et demi, s'est allié avec une fintech, Yomoni, pour construire un outil numérique spécial pour la souscription des petites entreprises. « Moins de 15 % des entreprises de 11 à 49 salariés sont équipées en produits d'épargne salariale. Et nous mobilisons énormément les distributeurs sur cette thématique », indique Anne de Lanversin, directrice générale de l'entité Generali Global Pension. La dirigeante ne s'est toutefois pas fixé d'objectifs, convenant que « cela aurait probablement été différent si la loi avait été plus ferme ». Pour autant, il faut, dit-elle, expliquer aux petits entrepreneurs que « m ettre en place une formule d'intéressement, c'est prendre le temps de réfléchir à ce qui va faire progresser l'entreprise ». Comme ce club de handball du sud de la France, avec 25 salariés permanents, qui a monté un système d'épargne salariale en le rattachant aux performances sportives de l'équipe et au taux de remplissage des salles.

De quoi peut-être inspirer Christelle Comparin, patronne active du Lot-et-Garonne, qui n'a pas attendu la loi pour saisir les enjeux du partage de la valeur. Mais pour l'heure, la cogérante de Comparin Construction Bois, qui affiche une croissance de près de 17 % en 2023 (1,8 million d'euros de chiffre d'affaires pour 13 salariés), en restera aux augmentations de salaire et à la prime.