Cela fera bientôt cinq ans. L'arrivée du Covid en France a contraint les pouvoirs publics à mettre en place en urgence un arsenal d'aides massives pour sauver le tissu économique. Parmi les dispositifs les plus emblématiques de ce « quoi qu'il en coûte » figuraientles prêts garantis par l'Etat (PGE) : près de 145 milliards de crédits ont été accordés par les banques à plus de 800.000 entreprises, avec une garantie à 90 % de l'Etat.

Une intervention inédite pour empêcher un important nombre d'entreprises de mettre la clef sous la porte, mais à l'effet incertain sur le long terme pour les finances publiques. Alors que les défaillances sont nettement reparties à la hausse, toutes les entreprises pourront-elles rembourser ?Pour l'heure, la Banque publique d'investissement, qui a mis en place ces aides, estime que, même s'il remonte, le taux de sinistralité reste en ligne avec les prévisions initiales. Selon des chiffres transmis aux « Echos », 38,4 milliards de prêts restent encore à rembourser sur les 145 milliards accordés.

Phase délicate

Avec des situations contrastées selon la taille des entreprises. Pour les grandes entreprises, qui avaient reçu un total de 16 milliards, les PGE sont soldés presque en totalité : l'encours n'est plus que de 1,4 milliard d'euros. Sur les 129 milliards restants, 37 milliards, soit 27 % du volume total, restent à rembourser, à deux ans de l'échéance de la fin 2026, où les entreprises devront avoir restitué leur PGE. « Nous sommes sur le rythme de remboursement et sur le rythme de pertes attendus », assure Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit à la Banque de France. La dernière estimation établie cet été pour la loi de finances chiffre le coût global pour l'Etat à 3,5 milliards d'euros : 6,4 milliards de pertes brutes, compensées en partie par 2,9 milliards de primes de garanties perçues. Liée en partie à un effet de rattrapage, la hausse des défaillances d'entreprises pourrait toutefois conduire le Trésor à réviser ces prévisions. Les faillites se situent, en cumulé sur douze mois, à des niveaux supérieurs à ceux observés en 2019, et même à la moyenne de 2009 à 2019. Et les perspectives pour 2025 ne s'annoncent pas meilleures. Le dernier baromètre des greffiers des tribunaux de commerce confirme les signaux de fragilisation du tissu économique, alors que « l'incertitude politique et réglementaire dans laquelle est actuellement plongé le pays aggrave une conjoncture déjà morose ». « Le ralentissement de la croissance pourrait nous conduire à réviser le taux de sinistralité à la hausse, mais pas de manière significative », estime Frédéric Visnovsky. Ce taux, qui indique la part des prêts non remboursés, se situe à 4,4 %. Mais certaines professions sont plus touchées que d'autres, comme la construction qui a encaissé 850 millions d'euros de pertes sur ses PGE pour un taux de sinistralité de 6,93 %, ainsi que les activités immobilières (5,05 %).En nombre d'entreprises, le taux de sinistralité est bien plus élevé : 9 % des sociétés sont concernées, selon les données de Bpifrance. « Vous pouvez avoir beaucoup de défaillances de petites entreprises avec des prêts garantis de faible montant qui finalement auront peu d'impact sur le budget », nuance Frédéric Visnovsky.Reste que, sur les deux dernières années de remboursement, le prêt garanti par l'Etat entre dans sa phase la plus délicate. Comme le montrait la Cour des comptes dans un rapport, les entreprises qui ont choisi d'amortir le plus longtemps possible leur PGE, jusqu'à la fin de la période de remboursement en 2026, sont aussi celles dont le chiffre d'affaires était le plus sous pression en 2020, dans les secteurs les plus affectés par la crise (hôtellerie-restauration, commerce, construction).

Restructurer le prêt

Dans une enquête réalisée en 2022 par la Cour, 22 % des entreprises ayant opté pour un remboursement en 2026 craignaient de ne pas pouvoir rembourser leur PGE. En moyenne, le prêt représentait 17 % de leur chiffre d'affaires. D'où la forte contrainte financière qui pèse aujourd'hui sur leurs épaules. « On observe qu'un certain nombre de petites entreprises limitent le développement de leurs activités, ou le salaire que va se verser le dirigeant parce qu'elles doivent rembourser le prêt », reconnaît Frédéric Visnovsky.La Cour soulignait également la part élevée des prêts garantis par l'Etat classés en prêts non performants, alors que les banques françaises se démarquent traditionnellement par un coût du risque moins élevé que dans le reste de l'Europe. Selon les données de l'autorité bancaire européenne, 29 % des PGE français étaient classés en « strate 2 », une catégorie de prêts dont le risque a augmenté significativement, contre une moyenne de 20,4 % dans l'Union européenne.

Quant aux entreprises confrontées à des difficultés de remboursement, elles pourront toujours restructurer leur prêt garanti par l'Etat, comme le reste de leur passif d'ailleurs. Un accord de place,conclu en 2022 et prolongé en janvier 2024, donne la possibilité aux PME de rééchelonner leur prêt.

Par ailleurs, le CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle), la cellule de Bercy chargé des entreprises en difficulté, a établi une doctrine pour assurer une restructuration des PGE « équitable » pour toutes les parties prenantes. Elle a été employée notamment pour Pierre & Vacances en 2022 et Air Austral en 2023. Mais pour les entreprises concernées, toute restructuration de cette dette aura un coût. Les PGE ont été accordés à l'époque des taux bas (1 à 2 %). Si elles renégocient leur dette, ce sera à des taux bien plus élevés.