Poupées sexuelles d'apparence enfantine vendues en ligne, procès du chirurgien pédocriminel Joël Le Scouarnec, révélations sur l'Abbé Pierre... "Les affaires se succèdent, mais il n'y a toujours pas de politique publique à la hauteur", déplore Muriel Salmona, spécialiste du psychotrauma, et ancienne membre de la Ciivise entre 2021 et 2023.

Née dans le sillage des révélations de "La Familia Grande" de Camille Kouchner, la Ciivise, menée à l'origine par le juge des enfants Edouard Durand, a levé un tabou: les violences sexuelles touchent selon elle un enfant sur dix.

Elle a recueilli 30.000 témoignages, alerté sur les défaillances des institutions et formulé 82 recommandations pour protéger et soigner les victimes. Mais deux ans après leur publication, en novembre 2023, très peu ont été concrétisées.

"Le gouvernement nous a dit un oui de principe pour certaines préconisations, mais il n'y a pas de mise en œuvre", regrette l'une des membres actuelles, Michèle Créoff, de l'association Face à l'Inceste.

Fin 2023, le gouvernement annonce la fin de la Ciivise, avant de céder à la pression d’élus et d’associations. Une nouvelle équipe est nommée, sans le juge Durand, avec une feuille de route allégée et un budget réduit de moitié.

- Ailes "coupées" -

"Avec sa légitimité de magistrat, sa parole claire sur les dysfonctionnements de la justice et ses critiques sur la présomption d'innocence, Edouard Durand était devenu un traître aux yeux du monde judiciaire", estime Michèle Créoff.

"Ils ont éteint la lumière et laissé une veilleuse allumée. Tout repose sur l'énergie de bénévoles, épaulés par un secrétaire général et un stagiaire",cingle-t-elle.

La commission compte aujourd'hui 35 experts, pilotés par un triumvirat: Maryse Le Men Régnier, magistrate et présidente de France Victimes, Solène Podevin-Favre, cadre dirigeante d'ONG et présidente de Face à l'Inceste et Thierry Baubet, spécialiste du psychotrauma et chef de service hospitalier.

"On a coupé les ailes de la Ciivise. Ce sont tous des experts bénévoles, aux engagements professionnels et associatifs très prenants", abonde Muriel Salmona.

Sans le juge Durand, la commission peine à incarner une voix forte. "Il n’y a pas de capitaine, c’est le radeau de la Méduse", tacle un membre.

La Ciivise s'est par exemple divisée sur le sujet polémique de l'imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineurs, après une tribune de France Victimes en mai en sa défaveur. 

"Je me suis fait malmener à l'intérieur de la Ciivise. J'entends le point de vue des victimes, mais toutes les opinions doivent être respectées", plaide Mme Le Men Regnier.

Après ces tensions, le nouveau secrétaire général arrivé mi-octobre Denis Roth-Fichet veut "redonner sérénité et visibilité" et s'assurer "que les membres parlent d'une seule voix".

- Quelques avancées -

"Mon objectif est de m'assurer que les 82 recommandations soient mises en oeuvre", affirme à l'AFP cet énarque, ancien directeur de cabinet de la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes Salima Saa.

Au ministère des Familles, on assure travailler sur plusieurs recommandations qui "nécessitent des adaptations législatives ou réglementaires".

Certaines mesures recommandées par la Ciivise sont appliquées, comme le programme d’éducation affective et sexuelle (Evars) dans les établissements scolaires et la vérification des antécédents des professionnels de l’enfance, qui a permis d'écarter 2.000 personnes.  

S'appuyant aussi sur ses recommandations, une proposition de loi sera déposée mercredi au Sénat sur l’imprescriptibilité et l’ajout des cousins à la définition de l’inceste.

L'exécutif a confié à la Ciivse plusieurs thématiques sur lesquelles elle prépare des "avis", comme le handicap, le parcours de santé, la cyberpédocriminalité...

Mais pour Muriel Salmona, "les actions à mener, on les connaît, demander de nouveaux avis, c'est gagner du temps pour ne pas agir".

"Ce que l'on nous dit, c'est qu'il n'y a pas de moyens. Mais un enfant violé, le psychotrauma qui dure toute sa vie, ça ne coûte pas cher?", interroge Mme Le Men Regnier. 

Son association France Victimes réclame un Grenelle de l'Enfance, sur le modèle des violences conjugales en 2019.

Pour un bon connaisseur du dossier, ancien membre de cabinet ministériel, la Ciivise "reste un point noir dans le mandat du président Macron, alors qu'il l'avait lui-même lancée" en janvier 2021.